Chapitre 30

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C'est juste incroyable, presque impossible à croire. Je reste coincée dans une position des plus ridicules, à fixer l'écran comme une droguée : la bouche bien ouverte, la tête en avant, les yeux qui vont presque me sortirent des orbites et la respiration saccadée, presque coupée.

Monsieur Salsfitz, c'est-à-dire Chris, à trente-cinq ans, soit l'âge de ma mère... Ça veut dire un tas de choses bordel ! Ils auraient très bien pu se connaître avant ou bien même je ne sais pas moi... être dans la même école en maternel ! C'est juste incroyablement impressionnant, je n'ai même pas les mots pour décrire mon «état intérieur»... Je suis choquée ? Choquée et encore choquée ? Oui, sans doute. Je n'y crois pas moi-même. Je me dis maintenant que tout est possible : ils peuvent peut-être bien être frères et sœurs, ce qui serait peu probable vu le plan drague de Chris... Ils ont peut-être été amis les années précédentes, il y a longtemps ? Ils se seraient disputés, d'où la froideur de ma mère ? Ils étaient peut-être voisin ou collègue de travail... Mais oui ! Ils ont peut-être travaillé ensemble ! Ma mère est professeur de littérature française dans un autre lycée, lui est professeur de littérature anglaise... Ils ont forcément fait les mêmes études! Ma mère a voyagé à Miami avant que l'on ne déménage, pendant les grandes vacances. Elle est restée un mois dans un lycée français pour un stage, pour s'améliorer et aussi pour y travailler un peu. C'est peut-être ici qu'elle a rencontré Chris et par la même occasion, Peter.

Mais, une minute... Je suis complètement débile ou complètement aveugle ? Les français n'ont pas cours pendant les grandes vacances, exactement comme nous... Je n'y crois pas. Ma mère n'a pas pu aller dans un lycée français, elle m'a mentit. Putain, on se fou vraiment de ma gueule. Ça, c'est la cerise sur le gâteau. Elle est allée à Miami un mois entier, mais je ne sais même pas pourquoi. Mon père lui aussi était au courant, sinon il ne l'aurait jamais laissée partir. Ou sinon ma mère est partit en vacances toute seule, en douce ? Non, c'est impossible. Cette histoire est de plus en plus louche et je viens juste de me rendre compte que l'on me mentait depuis le début.

Bon... Maintenant, je sais qu'il me manque quelque chose. C'est dur de réfléchir après cette révélation mais je n'ai pas le droit d'arrêter d'un coup mes recherches, je dois rester la tête froide. Je sais que je ne suis pas loin de trouver un gros indice, quelque chose qui pourrait m'amener à ma réponse et éventuellement à résoudre ma perpétuelle question : qui est Monsieur Salsfitz ? Pourquoi ma mère réagit d'une telle manière à son évocation ? Et pourquoi moi, ça m'intéresse autant ? Oui, c'est vrai ça, pourquoi je tiens tant à savoir ? Peut-être tout simplement parce que je suis curieuse ou parce que j'aime allée au bout des choses, j'aime me battre. Je hais tout simplement l'abandon. Si ma mère n'avait pas laissé paraître autant ses sentiments, je n'aurais sans doute jamais persisté ou sans doute même pas trouvée cette histoire louche. Si seulement je pouvais lire dans les pensées... Ce serait plus simple.

Je sais ce que je dois faire. Je dois chercher, fouiller, analyser chaque détail. Désormais, je suis sûre et certaine que ma mère et Chris ont un lien passé en commun. Je ne sais pas si cela date ou si c'est ressent, mais ils ont un lien. Ils sont tous les deux professeurs de littérature, l'un de littérature anglaise et l'autre, de littérature française... Mais oui ! Mais oui putain ! Ça me paraît évident ! Ils ont peut-être étudié dans le même lycée ! Je sais que ma mère habitait en Floride avant. C'est pour ça qu'elle a déménagé là-bas, elle connaissait déjà l'endroit... Je sais aussi qu'elle a étudié au Lycée Collins, à Miami. Peut-être que monsieur Salsfitz, lui aussi, a étudié à cet endroit ? Je mènerais ma petite enquête. Il faut absolument que je le sache.

D'accord, je sais que si je n'arrête pas d'y penser, ma tête va vraiment exploser. Il faut que je dorme. Toute cette histoire m'a exténuée. Il y a tellement d'éléments et d'indices dans cette histoire... Je suis si proche du but, je le sens. Je sens aussi que je dois me livrer à quelqu'un, je ne peux pas garder tout ce poids sur moi. C'est trop lourd à porter et à encaisser. J'ai bien envie d'appeler mon père mais je sais qu'il ne me répondra pas. Je peux toujours essayer, qui c'est ? Qui ne tente rien n'a rien.

Je me presse alors de prendre mon téléphone et je tape son numéro. Je m'assois au bord de mon lit, en n'oubliant pas de fermer le clapé de mon ordinateur. Je patiente quelques instants. Chaque sonnerie me déclenche une boule de plus en plus grosse dans le ventre. Je tripote mes doigts pour évacuer mon stresse, mais rien n'y fait. Je me demande sans cesse s'il va réponde ou non. Mais le coup fatal est donné par cette phrase, cette fameuse phrase que je connais tant :

« Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Jamie Brodie. Je ne suis pas disponible pour le moment. Vous pouvez me laisser un message, je vous rappellerai plus tard.

Le « bip » retentit et je reste silencieuse au bout du fil. Seul mon souffle qui commence à se faire irrégulier indique ma présence.

-Coucou papa, c'est moi, Ali. Je... Je voulais prendre de tes nouvelles et discuter un peu avec toi...

Ma voix tremble légèrement et mes yeux se brument de larmes. Ça me fait tellement mal... J'ai l'impression de parler dans le vide.

-Mon lycée est assez bien, il fait chaud ici, à Miami. La maison est sympathique et assez grande, un peu trop grande pour maman et moi...

J'ai vraiment du mal à parler. Je crois même que je n'en ai pas la force. Tant pis, je ne parlerais pas de mes problèmes. Je viens juste de me rendre compte que c'était trop dur d'en parler à vive voix. Et je n'ai pas envie, pour l'instant, de mêler mon père a ces histoires.

-Écoutes tu me manques papa. Je voudrais juste entendre ta voix une fois, peu m'importe ton état... Tu sais que je t'aime. On se sert les coudes entre nous, n'est-ce pas ? »

Ça y est, je pleure. Mes joues sont inondées de larmes et il met impossible de les arrêter. Je raccroche et balance mon téléphone à l'autre bout de la pièce. Je me couche dans mon lit et ferme les yeux, malgré tout ce mal présent en moi.

Ce n'est qu'une question de temps, je sais que ça s'arrangera...

Memories [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant