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Dès le lendemain, je sus à qui s'en était pris le démon. Je ne m'étais pas attendue à ça. Pas du tout. Je m'étais préparée à l'annonce d'un autre meurtre, oui. Mais pas à celui d'une personne que je connaissais.

Cette fois, il n'avait pas cherché à se protéger. Il avait vraiment tué par agacement. Jamais je ne m'en serais doutée. J'avais bêtement cru qu'il jouait avec mes nerfs, qu'il se moquait de moi. J'avais eu tort. À ma décharge, pas une seule seconde je n'avais pensé à elle.

Durant le trajet, je n'avais pas parlé à Carter des menaces du démon. Je ne tenais pas à ce qu'il se mette martel en tête alors que j'ignorais s'il avait réellement tué quelqu'un d'autre. Alors je m'étais tue et je lui avais simplement raconté notre conversation.

Je n'avais pas parlé de la grand-mère de Lila non plus. Le démon entendait et voyait à travers les yeux de Carter. S'il savait que j'avais un autre atout dans ma manche, il risquait de l'abattre en plein vol.

- Tout fait sens, jusque là. Mais la vieille tzigane que j'ai vue m'a assuré qu'il était lié à la maquette, qu'il ne pouvait pas s'enfuir. Même si à ma mort il pourra se détacher de moi, ça ne veut pas dire qu'il sera libre.

- Je ne sais pas. Je ne connais des démons que ce que j'ai vu à la télé et ça n'est en rien proche de la réalité.

En vérité, j'avais une théorie mais je me méfiais de ce que je disais devant Carter. À mon sens, le démon était bel et bien lié à la maquette, à St John's. Mais il était né de l'âme meurtrie de Carter, du sort qui l'a forcé à passer le seuil des cent ans. Le démon utilisait donc Carter comme vaisseau. Lorsque son vaisseau mourrait, il serait cloîtré dans la maquette et ne pourrait plus en sortir sans aide. À la rigueur, il pourrait hanter St John's. Devenir un de ces poltergeists si populaires à la télé.

Au demeurant, ce n'était là que conjonctures. Je n'étais sûre de rien. Je préférais songer que ce cas de figure ne serait pas à envisager et que la grand-mère de Lila pourrait exorciser ce monstre avant que Carter ne meure.

Je n'étais pas encore sûre de ma position face à cette dernière partie. Être celle qui lui donnerait enfin la mort... Je savais que ça serait une libération pour lui plus qu'autre chose mais je n'aimais pas l'idée d'en être responsable. Je voulais l'aider, pas le tuer.

Et puis, nous étions arrivés à l'école. Depuis l'allée, j'avais vu les lumières tourbillonner, bleues et rouges, violentes, hurlantes. J'avais trouvé la main de Carter à l'aveugle et je l'avais serrée de toutes mes forces.

- Qu'est-ce que... ?

Un murmure.

Il s'était garé et nous étions sortis de la voiture, rejoignant l'entrée. Je n'avais jamais vue l'école dans cet état. Des dizaines de policiers et de techniciens s'activaient, leur équipement à même le carrelage boueux et humide. C'était plus d'adultes que je n'en avais jamais vus dans l'ancien manoir.

Tous nos collègues étaient installés dans la cafétéria, hors des jambes des équipes de police qui s'affairaient, les visages drainés de toute couleur. Personne ne pleurait. Ils semblaient tous choqués, abasourdis. Mais personne ne pleurait.

Carter me prit par la main et m'entraîna avec lui vers les autres.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il.

Andrew leva un regard vide vers nous. Il serrait les épaules de Ginny qui tremblait. Elle ne sortit même pas la tête de l'épaule d'Andrew pour nous regarder. Elle devait avoir été plus proche de Holly que je ne le pensais ou alors, elle était aussi sensible que je l'avais cru.

Le Secret de St John'sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant