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S'il y avait une chose que j'avais compris sur Elizabeth, c'était qu'il ne fallait pas la contrarier. Or, j'avais fait exactement ça. Maintenant, elle me faisait payer au centuple. En l'espace de quelques jours, elle avait fait naître un nouvel enfer.

Elle ne cessait de parler, de se moquer, de chanter et de hurler, sa voix braillarde résonnant dans ma tête à longueur de journée. J'étais incapable de tenir une conversation avec quiconque puisque, la plupart du temps, je ne parvenais pas à dissocier ce que la personne me disait des vagissements de la sorcière dans ma tête.

Le sommeil était devenu une denrée rare pour moi. J'avais dû supplier Louis de me donner les somnifères de Lila. Ils mettaient Elizabeth hors service pendant quelques heures et c'était le seul moyen pour moi de trouver un minimum de repos.

Carter s'inquiétait et cherchait un moyen de se débarrasser d'Elizabeth mais je savais qu'il n'en trouverait pas. C'était à moi de réussir à me souvenir de la façon de rompre la malédiction. Sans ça, je ne me débarrasserais pas d'Elizabeth. Elle faisait partie du lien.

La sorcière le savait aussi bien que moi et ça posait un autre problème. Elle formait un mur opaque et infranchissable entre moi et mes vies passées. Si je tentais d'effleurer le plus insignifiant des souvenirs de Lily, elle se mettait à hurler comme une sirène de pompiers, m'assourdissant, me donnant si mal à la tête que j'en avais les yeux qui pleuraient.

Elle avait même réussi à me faire m'évanouir, une fois. J'avais dévalé les escaliers dans un grand fracas et les ouvriers qui terminaient les finitions des rénovations avaient appelé une ambulance en catastrophe.

La sorcière avait trouvé cela des plus divertissants.

Me réveiller à l'hôpital avait soulevé de très mauvais souvenirs.

En dépit de l'agressivité d'Elizabeth, ce petit écrin de bonheur que j'avais ressenti dans les bras de Carter ne s'effilochait pas. Cela mettait la sorcière dans un état de rage incroyable. Les moments où j'étais avec Carter, j'étais capable de transformer les hurlements et les invectives d'Elizabeth en bruit de fond.

L'automne était arrivé et, avec lui, la pluie diluvienne sans fin que seul l'Oregon peut supporter. La forêt était épaisse et touffue comme jamais, verdoyante. Lorsque je sortais, le vent portait son parfum de sève et de mousse jusqu'à moi. Jamais encore elle ne m'avait parue aussi imposante et belle. J'avais envie d'aller m'y promener. Le froid et l'humidité permanents m'en empêchaient. Je savais que si je m'avisais d'aller faire une randonnée, ne serait-ce qu'une heure, je reviendrais avec une grippe ou une pneumonie.

Mes parents prirent l'habitude de passer tous les week-ends. Ils arrivaient le samedi matin, repartaient le dimanche en fin d'après-midi. Elizabeth avait été furieuse une semaine entière lorsque j'avais officiellement présenté Carter à mes parents. Je n'avais pas eu à le dire, ils avaient très bien compris que c'était mon petit ami.

Je ne savais toujours pas trop ce que j'en pensais. Rendre notre relation si officielle... J'étais encore assez mal à l'aise. Surtout avec ce que le futur nous réservait. Sûrement rien de bon.

J'avais imaginé tous les scénarios possibles. Si je parvenais à rompre la malédiction, Carter mourait-il directement ? Tomberait-il en poussière dès que son siècle et demi passé le rattraperait ? Vieillirait-il avant de mourir, comme n'importe quel être humain ?

J'en avais d'autres en tête mais ils paraissaient bien moins crédibles que ceux-là. J'espérais que Carter aurait le droit de terminer sa vie comme n'importe qui avant de mourir. Au demeurant, je me doutais que la malédiction aurait ses conséquences sur lui, même une fois brisée. J'ignorais juste lesquelles.

Le Secret de St John'sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant