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Elizabeth Brayson, Johanna Stevenson, Lydia Mogens, Manon Audhin, Lily Casse et Yvana London. Tous les noms que j'avais porté plus ou moins longtemps. Toutes ces vies où j'avais été fauchée trop tôt. À part la dernière. Lily avait vécu quatre-vingt ans, sénile, enfermée à St John's dans le grenier comme un mauvais remix de Bertha Mason dans Jane Eyre.

Toutefois, la vie de Lily était la plus floue. Il manquait des bouts, certains étaient vacillants. Certains semblaient tout droit sortis de rêves ou de cauchemars. J'ignorais le vrai du faux, sûrement comme Lily à ce temps-là.

À la lisière de ces souvenirs fluctuants, il y avait la solution à notre problème. Elle savait comment rompre la malédiction. Je le sentais mais, tout comme elle, j'étais incapable de m'en souvenir.

C'était frustrant. Plus vite je le saurais, plus vite je pourrais en finir avec cette malédiction. Je pourrais être certaine de ne plus avoir à renaître dans la vie suivante pour revivre le même enfer.

Je ne comprenais pas comment Elizabeth pouvait avoir recherché cette forme d'immortalité fade et complexe. Était-ce un sort raté ? Ça y ressemblait. Plus j'y songeais et plus je me disais qu'elle avait obtenu exactement ce qu'elle voulait.

La vie éternelle comme la vivait Carter n'avait pas tant d'intérêt au bout d'un moment. La rompre était pour ainsi dire impossible. Au bout d'un moment, on a tout vu, tout vécu. L'ennui prend sa place, la douleur lorsqu'on perd ceux à qui on s'attache. Elizabeth voulait une vie facile. Et éternelle.

À travers ces réincarnations, elle ne cessait de revenir. Chaque vie était nouvelle, pleine de rencontres et de découvertes, de paysages et de sentiments. Pour ne rien gâcher, elle changeait de corps, de famille, de pays.

Le meilleur demeurait la punition de Carter, celui qu'elle avait aimé et qui n'avait jamais ressenti pour elle. Qui s'était servi d'elle. C'était surtout cette partie qu'elle n'avait pas accepté. Le fait qu'elle n'ait été qu'un instrument pour qu'il puisse asseoir sa position d'héritier de l'empire politique des Prince.

Et maintenant, elle savourait sa vengeance. C'était elle qui tuait ses incarnations. Une fois que Carter l'avait rejointe, qu'il avait de l'espoir – parce qu'il n'avait jamais ressenti plus que de l'amitié pour mes précédentes incarnations –, elle tuait celle qu'elle était et passait à la vie suivante.

Dans le seul et unique but de faire souffrir Carter.

Pas étonnant qu'un démon soit apparu. Il avait commencé à se manifester pendant la vie de Lily, la cinquième. Dès leur rencontre dans cette vie, Elizabeth n'a pas caché à Carter qu'il allait souffrir. Qu'elle empêcherait Lily de lui dire comment rompre la malédiction.

Le démon était apparu quand Lily a commencé à avoir des pertes de mémoire. Carter avait toujours su la vérité : elle n'avait pas Alzheimer. C'était Elizabeth qui jouait avec ses souvenirs, les effaçant, les modifiant. Ce jeu était la seule raison de la longue vie de Lily. La sorcière s'amusait trop avec Carter. L'apparition du démon l'avait beaucoup divertie.

Ce qui me menait à l'incompréhension. Puisqu'il était si divertissant, que c'était son bouffon personnel, pourquoi l'éradiquer dans cette vie ? Elle avait terminé l'exorcisme alors qu'elle aurait pu regarder le démon tuer tout le monde. Je ne parvenais pas à comprendre sa réaction.

Je ne voulais pas parler de ça avec Carter bien qu'il soit le seul à pouvoir comprendre un minimum Elizabeth. Je ne tenais pas à remuer le couteau dans la plaie. Personne n'avait parlé de sa possession depuis qu'il était sorti du coma et c'était très bien comme ça.

Il ignorait totalement que j'avais laissé Elizabeth prendre le contrôle de mon corps pour qu'elle termine l'exorcisme. Louis aussi. Il était inconscient à ce moment-là et ce n'était pas plus mal. Tous deux seraient furieux s'ils l'apprenaient. J'emporterai ce secret dans ma tombe.

Le Secret de St John'sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant