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Je ne me souvins pas des heures qui suivirent. Tout n'était qu'un vaste blanc dans mon crâne endolori.

J'étais dans un lit. Enveloppée dans des couvertures, bien au chaud. J'avais envie de vomir. Que s'était-il passé ? Qu'avais-je fait ? Elizabeth avait-elle prit le contrôle de mon corps et exorcisé le démon ? Tout le monde allait-il bien ou... ?

Je me redressai, luttant contre la nausée. Le soleil brillait dehors, éblouissant. Il passait à travers les rideaux qui avaient tirés devant les fenêtres.

Je n'étais pas chez moi. J'étais à l'hôpital. J'entendais le bip régulier des machines, sentait l'aiguille dans le creux de mon coude. Les draps étaient rêches et la pièce aseptisée.

Bon sang, que s'était-il passé ?

- Tu te réveilles enfin !

Je me tournai vers Louis. Il s'était installé sur une chaise dans un coin de la chambre. Il y avait toujours du sang à la lisière de ses cheveux. Il ne devait pas avoir dormi et encore moins s'être lavé. J'étais certaine qu'il m'avait veillée. J'ignorais depuis combien de temps.

- Que... Que s'est-il passé ?

Il se leva et vint s'asseoir au bord de mon lit. Il repoussa les cheveux que j'avais dans le visage.

- Quand je me suis réveillé, tu faisais face au démon. Tu parlais à toute vitesse en lisant le livre d'Iris. Je n'ai rien compris à ce que tu faisais mais le démon hurlait et se débattait. Il t'a envoyée plusieurs fois dans le mur. Tu t'es relevée et tu as continué. Comme si de rien n'était. Tu étais... différente. J'ai compris après. Ce n'était plus toi.

Je secouai la tête. Il avait raison. Ce n'était plus moi, à ce moment-là. C'était Elizabeth.

- Est-ce que... Est-ce que le démon... ?

Il haussa les épaules.

- Je ne sais pas encore. Il ne s'est toujours pas réveillé. Il s'est évanoui peu avant toi.

Je sentis qu'il y avait des choses qu'il ne me disait pas. Je le lisais sur son visage. Il y avait une tristesse, une douleur étrange qui marquaient ses traits. Je n'étais pas sûre d'avoir envie de savoir ce qu'il gardait pour lui. L'ignorance était un bienfait, parfois.

- Il faut que je te le dise tout de suite, Yvana... Iris est morte. Elle a fait une crise cardiaque. J'ai appelé la police dès que j'ai pu et ils sont venus chercher les corps de Vults et Linger et celui d'Iris. Ils t'ont emmenée à l'hôpital. Carter aussi. Il est dans une autre chambre. Ses vitales étaient faibles mais stables la dernière fois que j'ai réussi à parler à un médecin. Ils disent qu'il est dans le coma.

Ma tête bourdonnait. Le sang pompait, battait mes tempes. Il m'assourdissait. Je ne pouvais plus entendre Louis clairement.

Iris, morte.

Carter, dans le coma.

Peut-être même qu'il était toujours possédé. J'ignorais si Elizabeth avait réussi à terminer l'exorcisme. Je ne me souvenais de rien. C'était le noir le plus total dans mon esprit.

- La police... Ils veulent savoir... poursuivit Louis, l'angoisse faisant trembler sa voix. Ils veulent savoir ce qu'il s'est passé. Je ne sais pas quoi leur dire, Yvana. J'ignore totalement comment gérer cette situation. Quand ils sauront que tu es réveillée, ils vont venir te poser des questions. Je... Je leur ai dit que nous avions été agressés chez toi pendant que les deux inspecteurs t'interrogeaient. Que Iris avait eu tellement peur qu'elle a... qu'elle a eu sa crise. Que... Qu'on a rien pu faire. Ils... Je ne sais pas s'ils m'ont cru.

Je ne parvenais pas à réfléchir correctement. Tout ce qu'il me disait avait un drôle d'écho dans mon crâne. Qu'il m'aurait parlé dans une autre langue que ça n'aurait rien changé.

- Tu devrais dormir encore un peu, soupira-t-il, ses doigts dans mes cheveux.

Il ajouta quelque chose mais je ne l'entendis pas. Les ténèbres m'avalèrent avant que je ne puisse réagir, bien que je sache que ça n'avait strictement rien de naturel.

J'avais raison. Je tombai droit dans ma salle de bain, face au miroir. Elizabeth était dedans, le visage blafard, des cernes énormes sous ses yeux. Ils semblaient d'autant plus noirs que sa peau était blanche.

- J'ai réussi, embraya-t-elle directement. Je l'ai chassé, cet enfoiré. Par contre, il a fait nombre de dégâts. Autant sur moi, sur toi que sur Carter.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Quel genre de dégâts ?

- Pour Carter, je l'ignore. On verra lorsqu'il se réveillera. Pour moi, je sais que ça a sacrément puisé dans ma magie. Je suis... épuisée. Vidée. Essaie de ne pas te mettre dans d'autres ennuis parce que je ne pourrais pas t'aider. Quant à toi... J'ignore quel impact ça va avoir. Tu le sauras vite.

Sans attendre, la vision me relâcha et je sombrai dans un sommeil sans rêve, épais comme de laboue.

Je n'en sortis que cinq heures plus tard. Louis n'était plus là. Trois hommes se tenaient sur le seuil de ma chambre, deux en vêtements normaux et un en blouse blanche et discutaient avec animation. Celui en blouse blanche avait plus l'air d'un médecin que d'un infirmier.

Je n'entendis pas ce qu'ils se disaient. Cependant, au vu de leurs expressions, ça n'avait rien de plaisant. Mais le médecin ne se laissa pas intimider par les policiers. Il les chassa sèchement, un éclat acéré dans ses prunelles chocolat.

Il virevolta sans attendre et entra dans ma chambre en fermant la porte. Il m'offrit un sourire lumineux, débarrassé de toute la colère qu'il pouvait ressentir contre les deux policiers.

- Oh, vous êtes enfin réveillée ! s'exclama-t-elle.

J'aimais sa voix. Elle était douce, chantante, joyeuse. Tout son visage était jovial, amical.

- Je suis votre médecin, Kenna Slavinder. Vous êtes une énigme, miss London. Vous êtes arrivée inconsciente et j'aurais bien été incapable de savoir pourquoi.

- Que voulez-vous dire ?

Kenna s'approcha, inspectant ce qu'affichait le moniteur auquel j'étais reliée.

- Nous ne comprenions pas ce qu'il se passait avec vous. C'était très inquiétant. Entre le coup que vous avez reçu à la tête, la perte de sang qu'il a engendrée et votre extrême fatigue... Vous étiez dans un sale état mais ça n'expliquait pas que vous ne vous réveilliez pas. D'ailleurs, je ne peux toujours pas l'expliquer. Ma seule supposition logique serait de dire que vous avez reçu un tel choc que vous avez refusé de vous réveiller.

Je ne répondis pas. Je ne me voyais pas lui dire que j'avais assisté à l'exorcisme de mon petit ami et que, pour le terminer, j'avais dû me laisser posséder par une sorcière datant du siècle dernier.

Non. Je ne pouvais pas lui dire ça.

J'atterrirais directement dans l'aile psychiatrique de l'hôpital, en cellule capitonnée. C'était la dernière chose dont j'avais besoin. Me retrouver entourée de psys, enfermée loin du monde. Je me sentais déjà bien assez isolée comme ça.

Je me mis à pleurer sans pouvoir me retenir. Kenna me regarda, perdue. Il ne tenta pas de me réconforter. Il s'éclipsa en silence, me laissant seule dans la chambre froide et impersonnelle. Je me roulai en boule sous les couvertures et sanglotai comme une enfant.

Le Secret de St John'sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant