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Je me réveillai dans un lit que je ne connaissais pas. Il était chaud, mou. Une odeur de poussière et d'air stagnant régnait en maître, rendant ma respiration difficile.

Je me redressai. Une douleur explosa dans mon bras. Baissant les yeux, je découvris un bandage autour de mon coude. Ce n'était pas le seul endroit endolori. Ma jambe droite me faisait aussi souffrir. Je repoussai le duvet pour voir un second bandage.

Je sursautai lorsque la porte s'ouvrit dans un grincement sinistre. Carter pénétra dans la petite pièce plongée dans une pénombre lunaire, grise. Il alluma la lampe de chevet qui m'agressa la rétine.

- Enfin tu te réveilles. Tu m'as fait une peur bleue.

- Que s'est-il passé ?

- Je l'ignore. Je venais te retrouver en ville et je t'ai croisée à vélo. Je t'ai vue t'effondrer sur le bas-côté. Tu étais à moitié consciente. Je t'ai fait prendre tes cachets et ton inhalateur et tu t'es endormie pendant que je soignais ton bras et tes jambes. Tu ne te souviens pas ?

Je secouai la tête. La sensation de nausée que j'avais dans l'estomac me confirmait qu'il m'avait donné mes cachets. Je sentais leur arrière-goût dans le fond de ma gorge.

- Pourquoi pédalais-tu à une telle vitesse ? Tu sais que tu ne tiens pas les efforts !

Tout me revint. Le directeur, Sandie, ses promesses menteuses, Mona... Une vague de panique me secoua toute entière. Carter dut récupérer mon inhalateur rapidement et me le mettre dans la bouche. Le plastique frappa mes dents tant il alla vite.

Mes bronches se libèrent et je pus à nouveau respirer et réfléchir correctement. Il garda le boîtier sur ses genoux, au cas où.

- Que s'est-il passé, Yvana ? On t'a fait du mal ?

Je niai de la tête.

- Le directeur sait tout, articulai-je. Mona aussi. Il sait que ton démon a tué sa femme et il prétend vouloir vous nous aider. Quand il a proposé de me raccompagner, j'ai réussi à me débarrasser de lui mais j'ai eu un mauvais pressentiment et j'ai été aussi vite que possible pour fuir et... et j'ai tenté de retenir la crise mais...

Je regardai enfin le visage de Carter. Il était livide. Ses prunelles étaient écarquillées de pur effroi.

J'ouvris la bouche pour reprendre, le rassurer lorsque ses traits se métamorphosèrent en une furie terrifiante.

- Il était là. J'ai reconnu sa voiture. Il était juste derrière toi lorsque je me suis garé.

Le froid me percuta de plein fouet. J'avais été si près de... de quoi ? De me faire enlever par mon patron ? De me faire écraser ? Il ne m'aurait pas roulé dessus. Son but était de se venger de Carter et m'écraser avec sa voiture ne lui aurait apporté aucune satisfaction. Non, il m'aurait sûrement enlevée, embarquant avec lui toute trace de mon passage pour laisser Carter sans aucune piste pour me retrouver.

Je me raidis lorsqu'il me happa dans une étreinte d'ours, enfouissant son visage dans mon épaule. Il me fallut quelques secondes pour me détendre et lui caresser les cheveux. Il tremblait – de rage, assurément – et ses bras pressaient mes côtes à me faire mal. Nonobstant, je ne bougeai pas d'un cil.

- Dire qu'il était si près... Si je n'étais pas arrivé à temps...

Il marmonnait, étouffé par mon épaule, à peine compréhensible. Sa peur était réelle, tangible.

La réalité de ses sentiments me frappa subitement. Ce fut comme un coup de poing en plein estomac. Jusqu'alors, je n'avais pas réellement accepté l'évidence de ce qu'il ressentait pour moi. Ça me paraissait évanescent, lointain. Sibyllin.

Le Secret de St John'sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant