Chapitre 2

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Je marche dans les rues désertes, laissant le bar derrière moi.
En tournant dans les rues commerçantes je finis par trouver le tabac, et rentre sans me faire prier, pour profiter de la chaleur de la boutique.

Je ne suis pas particulièrement fumeuse, je ne fume jamais seule et ne m'achète pas de paquet en général.

Dans mes souvenirs, le tabac a toujours été tenu par la même vieille femme, au regard attendrissant.
Tout le monde l'appelle la femme tabac et elle a fini par revendiquer ce nom.

Elle sort de l'arrière-boutique, pour se poser derrière son comptoir.

Ses cheveux gris sont constamment regroupés en un chignon relâché, tandis que ses yeux cernés de rides sont bienveillants et réconfortants.

Elle sourit à ma vue.

"- Bonjour Gwenn, comment vas-tu ? Je devrais déjà être fermée, mais tu as peut-être besoin de quelque chose ? Me demande-t-elle.

- Hmm ça va, je me porte bien, et vous ? Le commerce marche bien ?

- Oh tu sais, on ne manquera jamais de personnes prêtes à payer pour s''intoxiquer les poumons."

Je souris devant son sarcasme, empli de vérité.

" - Je viens bien pour quelque chose, repris-je, j'ai besoin d'un paquet de Marlboro.

- Tu fumes maintenant ?

- Non, je rends visite à Jessica.

- Ah, je comprends mieux ! Tiens. "

Elle me tend le petit paquet rouge et blanc.

Avant que je n'aie le temps de sortir mon argent, elle lève la main.

" - non ne t'embêtes pas. C'est offert par la maison, pour une fois que tu passes me saluer. "

Je la remercie affectueusement, en plongeant le paquet dans mon sac.

Elle me chasse gentiment de la main.

"- Rentres vite maintenant ! Ce n'est pas une heure pour traîner dehors.

- Encore merci ! Portez-vous bien. Terminé-je avant de quitter les lieux."

Après avoir une courte ballade, j'arrive devant une maison, presque identique à la mienne, quoiqu'un peu plus grande.

Voici la maison de Jessica.

Mais vous vous demandez sûrement qui est Jessica ? Ou plutôt Jess ?

Jess est ma meilleure amie.
Ma toxico de meilleure amie. Je tiens beaucoup à elle.

Sa maison est silencieuse, éteinte, tout le monde doit dormir à l'heure qu'il est, minuit passé.

Je tourne la rue et saute par-dessus le mur à l'arrière de la maison, après avoir lancé mon sac. J'atterris mollement sur le sol, amortissant la chute avec mes genoux.

Je ramasse mon sac dans un silence de mort.

La maison se dresse devant moi, une baie-vitrée donne sur le salon, qui règne dans la pénombre.
Une vieille gouttière longe le mur pour rejoindre le toit enneige et une discrète lumière brille derrière la seule fenêtre présente sur le toit.

Je marche à pas de loup jusqu'à la gouttière.

Combien de fois ai-je fais cela ? Je ne saurais le dire.
À chaque fois, il y a la même petite excitation au fond de moi. L'excitation qui apparait quand on brave les interdits.

Je souffle de l'air chaud sur mes mains et me lance à l'assaut de la gouttière, grimpant agilement, presque sans bruit. Je me hisse sur la toiture, en poussant la neige.
Dans un équilibre incertain, j'avance à quatre pattes vers la fenêtre, mon jean et mes manches trempées par la neige.

Je toque doucement sur la vitre.

Celle-ci ne tarde pas à s'ouvrir sur le visage de Jessica, une petite brune au regard effronté, des tatouages recouvrant ses bras et sa nuque, avec un discret piercing en dessous de la lèvre. Elle me sourit.

" - Tu as ton Zippo ? Me demande-t-elle."

J'acquiesce du menton.
Elle sort à son tour sur le toit et étend un gros plaid sur le rebord enneigé de sa fenêtre.
Nous nous asseillons côte à côte en tailleur.

Je sors le fameux briquet et le paquet de cigarette, fraîchement acheté.
Le rebord de la vitre nous protége tant bien que mal des chutes perpétuelles de flocons.

Comme je vous le disais, je fume très rarement. Mes seules cigarettes sont réservées à ces moments avec Jess.

J'en coince une entre mes lèvres, avant d'en tendre une deuxième à mon amie.

J'ouvre le briquet, le protégeant de mes mains comme une chose fragile, la petite flamme dansant dans ma paume. Je la laisse embraser ma cigarette, les bouffées de tabac envahissant mes poumons tandis que la nicotine engourdit agréablement mon corps.

Je tends le briquet à Jess.

Elle fait la même chose que moi, et je peux lire le sentiment de plaisir et d'apaisement qui s'affiche sur son visage lorsqu'elle inhale ses premières bouffées.

Je ne suis pas dépendante, pas comme elle. Mais je reconnais que ça fait du bien, ça détend.

" - C'est l'heure parfaite pour fumer. Le meilleur moment, me dit-elle.

- Oui.

- Il est tard, dire que nous avons cours demain. Elle ajoute comme une plainte. "

Je regarde devant moi dans le fond de la nuit. De la fumée ressort de mes narines, s'échappant en volutes majestueux vers le ciel.

" - Je pense que certaines nuits valent la peine qu'on ne dorme pas. Dis-je avec les yeux dans le vague.

- C'est ce que tu dis toujours."

Je souris.
Oui, je l'ai toujours pensé.
Les nuits passées sur ce toit, sont les meilleures de toutes.

La nuit s'étend devant nous, sous une pluie de flocons.

Pendant ces nuits-là, je me sens puissante, capable de me dresser contre le monde entier.

Nous fumons en refaisant le monde, oubliant le sommeil et tout le reste.

Nous sommes deux face au monde entier, deux dans la nuit, deux meurtries par le froid, enivrées par un bonheur indescriptible.

J'écrase ma cigarette entre deux tuiles, faisant fondre la neige. La lune nous regarde, veillant sur les deux seules personnes qui troublent son territoire.

J'en allume une autre, mes yeux plongés dans le ballet envoûtant du feu, chauffant mes mains, reflétant nos âmes meurtries.

" - Tes parents sont là ? Demandé-je, troublant le silence de plénitude qui s'était installé.

- Oui, ils dorment. Dire qu'ils ne nous ont jamais choppés, me surprend.

- Ma discrétion est sans faille.

- En parlant de ça, les affaires ont marché aujourd'hui ?

- Oui plutôt."

Jess sait tout de moi, et c'est réciproque. Elle ne juge pas mon style de vie et je ne juge pas ses nombreuses dépendances et ses multiples aventures sans lendemain.

C'est bon de ne pas être jugé, d'être aimé tel quel, pour ses qualités comme pour ses défauts.

Nous sommes toutes les deux creusées par les coups durs de la vie. Mais ensemble, nous oublions tout.

Quand nous sommes deux, nous sommes fortes.

La Voleuse De FloconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant