Chapitre 36

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Connaissant les rues de cette ville par cœur, je marche, cours presque, en direction de la gare. J'ai toujours connu cette petite gare délaissée de Nantilly, regardant les trains presque vides partir et arriver, en ne faisant jamais parti du voyage. Aujourd'hui sans aucun bagage, je compte bien prendre l'un de ces trains, quoi qu'il en coûte, pour quitter cette ville aux côtés de Jonathan.

Alors que je marche d'un pas rapide, je sens déjà mes muscles se fatiguer et mes mains commencer à trembler. Je sais, je sens, que mon corps s'oppose à moi. Mais je continue de marcher, donnant un peu plus de force dans chacun de mes pas.

Bientôt, continuer d'avancer dans la neige me paraît tout bonnement impossible. Mes muscles me tirent, mes jambes se font lourdes, mes mains ne répondent plus.

Je crie intérieurement, je veux continuer, je veux me battre.

9h35. La gare est toute proche, pourtant ce qu'il me reste à parcourir me semble être infranchissable. Je marche, telle une pauvre mourante, mon corps secoué par de nombreux assauts tandis que je commence à cracher mes poumons.

J'aperçois enfin la vielle bâtisse en bois, recouverte de neige, qui sert de gare. Un vieux train attend sur le quai au loin, mes yeux s'illuminent d'espoir. Jonathan est sûrement sur ce quai.

Je peux le faire, je peux le rejoindre.

Je marche avec lenteur, croyant dur comme fer que je peux rejoindre la gare avant que le train ne disparaisse. Mais les minutes défilent et je mets de plus en plus de temps à avancer, toussant toujours avec force. Je sens le sang remonter le long de ma gorge, dans un goût âcre et métallique.

Je finis par tomber à genoux dans la neige, malgré moi, à bout de force. Mon corps s'épuise tandis que mon esprit se rebelle et crie avec rage. Je veux me lever, je veux courir de toutes mes forces jusqu'au quai !

Au lieu de ça, je commence à cracher mon sang impur sur la neige bien blanche. Je regarde les traces rouges, une main devant la bouche, avec dégoût.

Pourquoi ma maladie arrive toujours dans les pires moments ? Est-ce le destin ou dieu, qui se joue de moi ?

Je serre les poings, poussant sur la neige pour me remettre debout, dans un équilibre tremblant. Je veux me battre, quitte à me relever autant de fois qu'il le faudra. Je peux être plus forte que tout le reste si ma volonté est inébranlable.

Je ne resterais pas prisonnière de ces terres !

Alors que ma volonté est remontée à bloc, et que l'espoir afflue de nouveau en moi, j'entends un crissement puissant, qui m'oblige à fixer la gare avec attention.

9h42.

C'est ainsi que je peux voir, avec toute la détresse du monde dans les yeux, le train s'éloigner au loin dans un bruit fracassant, emportant tous mes rêves avec lui.

J'ai vraiment l'impression de m'être battue vainement. On peut même dire que je me sens con. Con et affreusement désespérée.

Je me sens comme cet homme sur le tableau, resté sur le quai enneigé, alors que son monde fuit avec le train au loin.

Le destin me hait. C'est certain.

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(point de vue de Jonathan)

Je marche sur le quai, un sac sous le bras, tirant ma valise derrière moi. Toule me suit quelque peu en retrait à mes côtés, échangeant une conversation téléphonique plutôt échauffée avec l'un de ses fournisseurs.

Je fixe ma montre, m'arrêtant par la même occasion au bord de la voie pour attendre mon train.

9h39.

Je suis pile à l'heure. Il n'était d'ailleurs pas question de le louper, car c'est le seul de la journée.

Cette petite gare n'est que peu desservie, les habitants de cette ville y naissent et y meurt sans jamais voir d'autres horizons.
Ici les gens sont comme enfermés dans leur monde, refusant l'existence d'un ailleurs. Voici donc pourquoi les trains se font si rare, puisque si peu de monde les utilisent.

Moi, je fais partie de l'un de ses rares voyageurs, avec mon frère de coeur, Toule. A l'inverse de tous ces habitants, mon seule rêve est de fuir cette terre à part, coupée du monde.

Et c'est donc cet allée simple qui va m'offrir ma liberté, tant espérée, depuis si longtemps.

Toule me sort de mes pensées en me rejoignant, après avoir raccroché au nez de son interlocuteur. Je lis l'énervement sur son visage aux ses traits tirés, Avant même qu'il ne prenne la parole.

"- J'en peux plus de mes fournisseurs ! Vivement qu'on se barre d'ici pour que je recommence mon commerce ailleurs !

- Ouai, vivement qu'on mette les voiles, concédé-je. "

Il frotte ses yeux avec deux doigts en signe d'épuisement. Je comprends qu'il est tout aussi pressé que moi de changer d'air.

"- Je te jure les gens deviennent intraitables de nos jours. Dit-il avec exaspération."

Je ne prends pas la peine de lui répondre, de nouveau plongé dans mon flot incessant de pensées. Pensées qui je l'avoue, sont en partie dirigées vers la jeune voleuse blanche.

Ses traits doux et son aura envoûtante hantent mon esprit quoique je fasse. Mon coeur se sert un peu plus en pensant que je l'abandonne derrière moi. Je me sens comme un moins que rien, les remords me rongeant en repensant à la dernière expression qu'elle m'a dédié.

Gwenn faisait partie de mes plans, sans elle, tout ceci aurait été impossible. Tout était claire entre nous, dés le début.

Tout était claire et pourtant je n'ai rien vu venir. Je pensais tout contrôler. Cette fille là ne se maitrise pas, et elle a eu sur moi des conséquences que je n'imaginais même pas.

Oh non, je n'imaginais pas.

Un bruit strident attire mon attention et je relève les yeux. Le train s'arrêteavec lenteur devant moi, freins usé par le temps semblent crier d'agonie. Je soupire, le coeur lourd de remords.

Toule monte sans aucune hésitation dans le train. Je me lance à sa suite, pénétrant dans la carcasse fatiguée du wagon.

Je fixe l'exterieur, fixant cette neige éternelle. Où es-tu Gwenn en ce moment même ?

Mes tripes se serrent quand le train s'élance sur les rails avec force. Je laisse derrière moi un adieu muet pour cette ville que je ne désire jamais revoir. Mais aussi pour la fille de la neige, qui m'a si vite bouleversé, et que je ne reverrai propablement pas non plus.

La Voleuse De FloconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant