Chapitre 5

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Nous avons décidé de commencer par le tabac et de finir par les courses.

Jess est en ce moment même à l'intérieur, se payant deux paquets de cigarettes avec notre argent fraîchement gagné... ou plutôt, fraîchement volé.

Je suis adossée au mur, frottant mes mains l'une contre l'autre pour les réchauffer un peu.
Je regarde le spectacle habituel des flocons blanc tombant dans le noir.

Nanttily étant sous l'emprise complète de l'hiver, la nuit y tombe très tôt. Si bien qu'aux  alentours de dix-huit heure, le jour disparait pour laisser place à la nuit.

J'ai toujours vécu ça, mais par moment, je me demande comment vivent les gens dans les autres villes...

Je relève les yeux, un homme s'approche de moi, une cigarette inutilisé dans la bouche. Adoptant une démarche masculine, il finit par s'arrêter devant moi, me fixant avec des yeux cernés de fatigue.

Avec mon manque de sommeil, je ne dois pas avoir plus fière allure que lui.

Pensant sûrement que je suis une fumeuse accomplie, car j'attends seule devant un tabac, il m'adresse la parole de sa voix rocalleuse.

Déduction plutôt logique en soit, bien qu'elle soit fausse.

"- Excuse-moi, t'as pas du feu ? Me questionne-t-il finalement.

- Si. "

Je sors mon briquet de ma poche et l'allume devant son visage.
Pendant qu'il est concentré sur la flamme attaquant sa clope, je lui fais les poches avec ma main de velour.

Un téléphone, des clés, quelques billets froissés. Je referme mes doigts dessus, et les glisse dans un geste presque habituel, dans ma manche.

Il tire quelques bouffées.

"- Merci. Dit-il avant de partir.

- Il n'y a pas de quoi."

Il continue sa route, s'enfonçant dans la nuit jusqu'à disparaître.

Vingt euros. C'est toujours ça.

Je range l'argent dans ma poche avec le reste, regardant le briquet dans ma main. C'est un zippo.

Voilà maintenant quelques années qu'il est toujours sur moi. Quelques petits flocons sont gravés dans le métal usé. Je trouve qu'il me correspond bien.

C'est Jessica qui me l'a offert pour un anniversaire, je me souviens de ce jour. Elle me l'a tendu sans emballage, ni papier cadeau, en me disant :

"Tiens, comme ça avec toi je ne manquerai jamais de feu."

Elle m'avait souri et cela m'avait ému. Depuis il ne me quitte jamais.

Je bascule le clapet avec mon pouce, regardant la flamme prendre vie, remuant au contact des flocons. Le feu me réchauffe le visage et les mains.
Mes yeux se perdent dans les mouvements envoûtants de la petite flamme, comme hypnotisés.

"- Tu sembles être bien loin, me dit Jess en sortant de la boutique.

- C'est le cas, lui répondis-je en souriant.

- On va faire les courses ?

- Oui, je ne dois pas trop tarder."

Après avoir fait nos achats de nourriture, nous nous sommes séparées et je suis rentrée chez moi avec mes deux sacs de courses.

Je passe la porte d'entrée, épuisée par cette longue journée. Je salue ma mère qui dort toujours dans le canapé enroulée dans une grosse couverture.

Je me rends dans la cuisine et range tranquillement les affaires, tout en préparant le dîner.

Je fais deux plateaux que j'apporte dans le salon. Ma mère, maintenant réveillée, se redresse en gémissant. Je pose le plateau sur ses genoux et m'asseois à ses côtés sur le vieux canapé en cuir.

Je commence à manger.

"- ça va ? Demandé-je.

- Oui."

Je suis surprise qu'elle me réponde, rares sont les jours où elle n'est pas sous l'effet engourdissant de l'alcool ou très loin dans son monde.

"- Tu n'as plus d'alcool ?

- Non.

- Je t'en ai ramené une bouteille.

- Comment fais-tu pour en acheter ?

- Je fraude... Comment veux-tu que je fasse autrement ?"

Cela faisait longtemps que je n'ai pas entendu sa voix, devenue rauque et faible.
Les jours comme celui-ci, j'ai l'impression de récuperer ma mère un peu, ma mère que j'aime tant. Mais je sais que quand elle remonte, ce n'est que pour retomber bien plus bas, et j'en ai peur.

Oui, je suis morte de peur.

Je donnerais tout pour qu'elle recommence à vivre, je l'aide, faisant de mon mieux, j'entretiens son corps. Mais l'envie de vivre, de se battre, c'est à elle de la retrouver, je ne peux rien faire.

Alors j'attends en silence, depuis si longtemps maintenant.

"- Pardon. Dit-elle faiblement.

- Ce n'est rien. Je veux juste que tu vives.

- Vivre..."

Sa voix me parait loin, comme ses pensées. Vivre à ses yeux, ne signifie plus rien. Vivre n'existe plus.

Je me lève.

"- Prends une douche et rendors toi. "

Elle se lève pour aller dans la salle de bain, tandis que je lave la vaisselle avant de monter dans ma chambre.

Je vide mes poches et range mes billets dans le tiroir du bureau.

Ce soir je ne vais pas au bar, ce serait bien inutile, car Toule, n'y est que deux soirs par semaine. 

Je m'allonge sur le lit, me rappelant la discussion avec ma mère avant de sombrer dans les bras de morphée.

La Voleuse De FloconsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant