Chapitre 7 :

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« Pendant l'insomnie, je me dis, en guise de consolation, que ces heures dont je prends conscience, je les arrache au néant, et que si je les dormais, elles ne m'auraient jamais appartenu, elles n'auraient jamais existé. »

-Emil CIORAN-

[PDV Lawrisia]

Quarante-huit heures. Quarante-huit longues heures que je lutte contre mon sommeil. Je suis exténuée, à tel point que je n'ai même plus d'appétit, n'ait plus goût à rien. Cette nuit, je l'ai passée sur le balcon de mon appartement, assise parterre sur le ciment glacé, adossée contre le mur extérieur du salon froid et humide. L'air était frais et vivifiant, de quoi me maintenir en éveil.

Durant ces longues heures, mon esprit a eu le temps de gamberger sur les événements de ces derniers jours. La réapparition de Teach surtout. Ca tournait dans ma tête comme dans un manège désenchanté, ça se bousculait tellement sous mon crâne que j'en avais attrapé une migraine. Mais la fatigue me martelait encore plus, me rendait fiévreuse et chancelante. C'est pour cette raison que je me suis laissée tomber dehors, pour ne pas m'écrouler totalement. 

J'ai perdu la notion du temps avec la fatigue qui s'accumulait. Ce matin il est presque huit heures un quart et je suis encore dans le brouillard, en pyjama molletonné, à contempler cette grande voûte céleste se teinter des couleurs de l'aurore.

Seul mon estomac me rappelle que je dois me sustenter, me torturant de l'intérieur à se tordre avec désespoir et en grognant comme un animal enragé. Mais je ne peux pas lui donner son du, je n'ai même plus la force d'ouvrir la porte du frigidaire ou celle du placard qui abrite mes réserves. J'ai envie de vomir encore, je sens même ma bile acide au fond de ma gorge me dégoûter pour de bon de la nourriture. Mais je crève de faim. Je ne supporte plus cette sensation désagréable. 

Péniblement, je me traine jusque dans la salle de bain et arrivée devant la cuvette des toilettes, m'agenouille et me penche au-dessus de la lunette en comprimant mon estomac contre le rebord. D'une main, je tiens retiens mes cheveux qui tombent dangereusement de part et d'autre de mon visage. J'essaie de contracter mon estomac pour feindre un haut-le-cœur qui ne vient décidément pas, et désespérée, fait ce que je faisais encore il y a trois ans. J'enfonce mon index et mon majeur dans ma gorge, le plus profondément possible et enfin, je parviens à faire remonter son maigre contenu au bout de cinq tentatives. Entre deux, je me relève, me lave les mains avec précaution, les essuie avec du papier toilette et recommence jusqu'à ne plus ressentir cette gêne bloquée dans mon tube digestif.

C'est idiot, mais à chaque fois j'ai les larmes qui me montent aux yeux, comme si mon corps déplorait mon action, me disait : "mais qu'est-ce que tu fais ? Tu te rends compte un peu ? Tu es entrain de te faire du mal là ! Pourquoi est-ce que tu fais ça ?"

Mais mon Corps, tu sais, je n'ai rien contre toi. Enfin...si : tu n'es pas comme je voudrais que tu sois. J'ai beau essayer de te dompter de toutes les façons possibles, tu n'en fais qu'à ta tête. Tu t'amaigris de trop et en même temps, tu trouves le moyen de me donner des formes que je ne désire pas. Dans le miroir, je te vois informe, je te vois trop potelé, jamais à mon goût. Le pire c'est quand je suis avec toi dans la rue ou à l'école. Je vois toutes ces jolies filles minces, avec une belle poitrine, de belles cuisses qui ne se touchent pas, je vois ces filles aux bras de leurs petits amis, un sourire éperdu aux lèvres, ivres de bonheur. Et moi, je les regarde avec admiration en rêvant de leur ressembler.

Peux-tu le comprendre, hein, mon cher Corps avec qui je dois vivre jusqu'à ce que la mort nous sépare ? Peux-tu comprendre que si je ne satisfais pas, si je te fais endurer la faim et l'insomnie c'est parce que tu me dégoûtes ? Que si je me cantonne à "t'accepter" pour ce que tu es, ça serait comme me résigner à te subir pour ma vie entière sans protester ?

[One Piece] The Bullied Girl [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant