Chapitre 25

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Vendredi 26 août – Ean

Avec les quatre derniers jours que j'avais passés en compagnie de ma mère, j'aurais pensé être complètement désorienté, écœuré et avoir besoin de rentrer chez moi. Je me demandais même si ce n'était pas ce que j'avais attendu de mon séjour. Au contraire, je me sentais de nouveau à la maison. Je revoyais la domestique passer et repasser pour prendre de mes nouvelles, Lauren et Earl ne me laissaient jamais seul depuis que j'étais rentré de l'hôpital – sauf lorsqu'ils étaient en cours – et ma mère faisait tout pour m'occuper l'esprit le reste du temps. En réalité, j'avais peu de temps libre pour réfléchir et c'était agréable.

Après avoir mangé ce jour-là, j'avais réussi à m'éclipser dans la cour arrière. Abigail préparait un festin depuis l'aube puisqu'elle avait été invitée à un gala de charité dans la soirée. Je ne lui avais pas demandé de détails, mais je savais que tout ce qu'elle enfournait serait vendu afin de servir l'association défendue. C'était sa manière d'être charitable tout en se faisant remarquer. De fait, j'avais toute la matinée et une partie de l'après-midi pour prendre du temps pour moi. Mes côtes me faisant toujours un mal de chien à chaque mouvement, j'avais décidé de profiter du beau temps à domicile, assis sur la vieille balançoire rouillée du jardin. J'étais entouré de haies parfaitement taillées, face à la façade de ma maison d'enfance. J'avais redécouvert le bruit satisfaisant que faisaient nos pieds en marchant sur du gravier, l'odeur de l'herbe fraiche, le parfum des roses.

Swanny, l'homme qui avait en partie assuré mon éducation, me surveillait depuis la baie vitrée de la véranda. C'était un ancien soldat devenu borgne après une attaque lors d'une opération périlleuse en Argentine. Sa femme inquiète l'avait convaincu de quitter l'armée et ma feue grand-mère lui avait généreusement proposé un poste grassement payé. Camarade de mon grand-père paternel, il n'avait pas refusé, heureux de servir ma famille tout en pouvant subvenir aux besoins de la sienne. Il était désormais âgé mais il donnait l'impression de pouvoir continuer son travail encore des années.

En tournant les yeux vers la végétation, je me fis ma réflexion que ce jardin avait bien changé avec les années. Déjà, les haies étaient proscrites car ma mère craignait que ses précieux enfants ne s'irritent avec les ronces. Avec mes frères et sœurs, nous adorions jouer dans cette parcelle, autour de la balançoire, car c'était l'endroit le plus dangereux. Mes parents refusaient que nous dépassions les buissons sans surveillance. C'était notre moyen de défier l'autorité, mais je m'amusais surtout à découvrir les insectes que je pourchassais.

En réalité, à cette époque, Ennis et Enzo avaient été deux ingrats qui avaient décrété que leur rôle de grand-frère était de m'apprendre le plus de choses possibles pour énerver les parents. En relevant les yeux vers la façade, je me souvins notamment de cette fois où ils m'avaient fait colorier discrètement dans un recoin du mur, près d'un parterre de fleurs. Ma mère ne s'était rendu compte de rien, au début. J'avais pu gribouiller quelques fantaisies dont moi seul avais le secret avant qu'Ennis ne gâche tout en apportant des bombes de peinture pour s'initier au Street-Art. Le visage de ma mère en découvrant l'œuvre d'art obscène de mon aîné de quinze ans était aussi mémorable que la punition dont il avait hérité. Ma mère lui avait confisqué tout son matériel informatique, l'obligeant à aller à l'école pour faire ses devoirs en dehors des cours, et lui avait fait repeindre une grosse partie de la façade à chaque fois qu'il prévoyait de sortir avec des amis.

Une autre fois, lorsqu'Earl avait deux ans, Enzo, seize ans, avait reçu l'ordre de garder le plus jeune en l'absence de nos parents. Swanny n'était pas en service les week-ends. Mes deux aînés s'étaient amusés à le peindre des pieds aux cheveux tout en bleu dans la baignoire. Naïf du haut de mes sept ans, ils m'avaient assuré que si je me roulais dans le rouge et Edwin dans la blanche, on pourrait rendre nos parents fiers en représentant le drapeau des Etats-Unis. Pour moi, c'était tout à fait merveilleux. Soucieux de rendre ma mère heureuse et croyant mes aînés comme des messies, je n'avais pas plus hésité que le jumeau. À côté, ils avaient découpé les rideaux rouges, avaient enroulé Lauren et Lorelei à l'intérieur en agrafant les extrémités. Je me rappelais l'air paniqué de Lexy lorsqu'elle était descendue de sa chambre, fiévreuse. Elle n'avait d'ailleurs pas eu le temps de dire quoi que ce soit puisque nos parents étaient rentrés dans la foulée avec trois invités chiquement vêtus, tandis que j'entamais avec les jumeaux l'hymne national, la main sur le cœur.

I. Domination [Boy x Boy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant