Chapitre 35
Une cérémonie ratée
Sidvin regardait les serviteurs du palais placer d’énormes troncs d’arbres coupés. Depuis que l’invasion des sorciers et la mort de Jabe s’étaient produites, le ciel restait obstinément sombre et dénué d’éclaircies. On dirait presque que c’était l’œuvre des dieux, qu’ils les soutenaient dans leur peine d’avoir perdu le souverain. Mais tous savaient qu’en réalité, le royaume était en danger et que les sorciers les guettaient de proche.
Dans les traditions marinéennes, les funérailles de leur monarque se faisaient sur une sorte de bûcher et au crépuscule, le magicien du royaume devait brûler le bûcher afin de laisser la fumée de l’âme de Jabe s’élever vers les Plaines Élysées. Ensuite suivait une cérémonie dans laquelle les habitants décideraient en chœur qui sera le nouveau souverain de leur royaume.
Se détournant de cette sinistre image du bûcher à moitié construit, l’Ambréen se tourna plutôt vers l’océan et s’en approcha jusqu’à se que ses pieds nus frôlent l’eau étonnament chaude.
-Sidvin ?
La voix de Pitter résonna et le père d’Ancolie réintégra la réalité et vit un sourire amusé sur ses lèvres.
-Je crois que vous feriez un excellent souverain de Marine.
-N’importe quoi, murmura-t-il.
-Non, non. Tous ceux qui installent les troncs parlent de vous. Vous n’avez qu’à regarder.
Par curiosité, il fit ce qu’il lui demandait et les Marinéens lui adressèrent un salut de la main.
-Je vois…
Éclatant de rire, Pitter tapota de sa main l’épaule du magicien et s’éloigna, les larmes aux yeux, causées par son fou rire. Offensé, Sidvin soupira et partit dans le palais, en direction de sa chambre. Nettoyée régulièrement par des servantes, elle restait toujours présentable et propre. Il prit avec soin la boule d’ambre posée sur une tablette. Magique, elle pouvait lui montrer des images au moment présent auprès de sa fille et c’était justement exactement ce qu’il voulait, afin de savoir comment elle allait. L’Ambréen frotta doucement ses paumes sur l’ambre sombre qui vira lentement au transparent. Des images d’Ancolie, Alisen, et quatre inconnus se succédèrent à un rythme irrégulier. Sidvin fut inquiet de ne pas voir la déesse avec eux, elle qui lui avait promis de protéger sa fille. Mais la pensée qu’elle aille pris des précautions et laissé Ancolie aux soins de ces inconnus fit surface et le soulagea.
Sidvin remit l’instrument magique à sa place, et voyant le crépuscule aux portes de Marine, il décida quand même de garder sa tenue de magicien, une longue tunique grise. Légèrement tendu, l’Ambréen quitta sa chambre et se rendit à la plage. Tous les Marinéens à chaque coin du pays, environ quelques milles, attendaient avec impatience le magicien. Le corps était déjà installé sur le bûcher et le vent sifflait. Les lourds nuages sombres chargés de pluie défilaient à une vitesse époustouflante et des pétales de fleurs rouges, symbole des armes et du sang. Dès que l’on donna une torche enflammée à Sidvin, tous les habitants du royaume s’agenouillèrent et murmurèrent des paroles incompréhensibles. Le père d’Ancolie s’approcha et vit le blême visage du défunt roi. Selon les croyances du peuple marinéen, le mort devait rester habillé comme il l’était au moment de sa mort. Dans le cas de Jabe, l’uniforme de combat était toujours imprégné de son sang. Sidvin hésita longuement en regardant le visage inexpressif du défunt avant de poser délicatement la torche sur le torse de Jabe. Aussitôt, le bûcher se fait dévorer par les flammes. Grâce à certaines herbes et épices, le feu engloutit tout en quelques minutes qui semblèrent une vie entière pour le magicien. Dès qu’il ne resta plus une miette de bois, les habitants se dirigèrent automatiquement vers les portes du palais et y entrèrent sans se bousculer. Sidvin resta cependant où il était, près du bûcher où reposait il y a quelques minutes Jabe. Quant à la reine, si son mari mourrait, la couronne royale ne lui appartenait plus et on choisissait évidemment un nouveau monarque.