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J'avais pris toute l'après-midi qui avait suivi ma conversation avec Sam pour surveiller l'intérieur de l'appartement de ma cible via la minuscule caméra, équipée d'un micro que j'y avais plantée durant l'une de ses absences, et rattraper les heures de sommeil que je perdais trop souvent en filatures et surveillances nocturnes. Ainsi, je m'éveillai à cinq heures tapantes, d'excellente humeur, pour profiter d'une petite heure de course à pied en centre-ville malgré l'air vicié qui irritait mes poumons. Un arrêt dans une boulangerie plus tard, j'étais appuyée contre un muret, à quelques mètres du domicile de ma cible, en train de manger mon croissant, tout en relisant les informations principales une dernière fois.

Séraphin Cobb, Français de nationalité, fils du dieu Týr. Basé à Paris depuis treize ans, il avait suivi dans son enfance la formation militaire avancée commune aux Maisons æsir, un entraînement complet qui prenait en général une bonne quinzaine d'années, ce qui voulait dire qu'il devait en avoir plus de quarante au total. Curieuse, je remontai rapidement jusqu'à son âge, sur lequel je ne m'étais pas attardée jusque là. Cinquante-sept, effectivement.

Et, en cette demi-décennie d'existence, il était sorti vainqueur de toutes ses altercations avec ma famille. Quelques rares victimes lui étaient officiellement associées, mais aucun nom ne se détachait du reste à mes yeux, ce qui signifiait que c'étaient tous de petits agents, pas très puissants, qui avaient péri sous ses coups. Cela n'avait rien de très glorieux pour lui, mais clairement, il en avait tiré son assurance arrogante de la veille. J'étouffai un rire narquois, continuai à faire défiler les informations.

De par sa formation, c'était un combattant professionnel, avec un statut privilégié au sein de sa Maison, spécialisé dans les opérations conjointes. Je marquai un bref temps d'arrêt, pensive. Le « convaincre » de me suivre n'allait pas être facile, tout allait dépendre de ses armes. Ici, les informateurs de la Confrérie signalaient qu'il combattait souvent à l'ancienne, soit avec sa lance, soit avec une épée et un bouclier.

Pitié, qu'il n'utilise pas sa lance. Je détestais combattre des lances.

Un message en provenance de Sam masqua brièvement le document. J'esquissai un mince sourire satisfait. C'était le code pour activer le portail depuis mon emplacement. Je me le répétai deux ou trois fois dans ma tête pour le mémoriser, supprimai le message, poursuivis ma lecture en guettant discrètement le moindre signe d'une protection rapprochée.


Le portail de l'immeuble grinça en s'ouvrant et Séraphin sortit, mains dans les poches, dix minutes plus tôt que prévu. Les yeux rivés sur mon téléphone, je le laissai gagner quelques dizaines de mètres d'avance avant de m'engager à sa suite. Au lieu de mes habituelles lentilles, j'avais aujourd'hui choisi les lunettes de soleil. La confrontation était inévitable, et il savait à quelle Maison j'appartenais, cela n'avait donc aucun sens de continuer à dissimuler mes yeux.

Tout en le suivant, je le détaillai avec attention. Il mesurait environ un mètre soixante-seize, soit quelques centimètres de plus que moi, avec une carrure de militaire aguerri. Aucune trace d'armes de poing dans sa tenue de citadin, même si chez un demi-divin, cela ne voulait rien dire, une démarche régulière, rythmée, mais pas pressée ni nerveuse. Il était tranquille, assuré et confiant en ses capacités. Pourtant, j'étais certaine qu'il m'avait repérée, puisque je n'avais rien fait pour me dissimuler. Mes lèvres se retroussèrent en un sourire cynique quand je compris que ses certitudes l'avaient probablement poussé à passer sous silence ma présence auprès des siens.

En arrivant sur le pont de Neuilly, hurlant et fumant comme toujours en cette heure matinale où toutes les voitures se bousculaient pour gagner le moindre demi-mètre d'avance sur les autres, Séraphin pressa le pas. J'allongeai mes foulées pour calquer mon allure sur la sienne et le garder en vue, et nous marchâmes ainsi jusqu'au milieu du pont, lui perdu dans ses pensées, moi focalisée sur lui, la distance entre nous s'étendant progressivement. Assez paradoxalement, j'étais de moins en moins tendue à mesure que je sentais le bon moment approcher, que je découvrais que, malgré sa certitude d'être épié, il ne changeait pas ses vieilles habitudes. En général, j'aurais supposé qu'il cherchait à m'entraîner dans un piège, mais aujourd'hui, j'étais presque certaine que c'était juste son excès de confiance en lui.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant