| 11 † 1 |

62 9 13
                                    

Une main me secoua par l'épaule aux alentours de quatre heures du matin pour me tirer du profond sommeil dans lequel j'étais plongée. L'esprit en vrac, je mis quelques dizaines de secondes à faire sens de ce qui m'entourait, papillonnant des paupières dans la lumière rougeâtre du soleil déjà levé qui filtrait par ma fenêtre. Au-dessus de moi, le visage avenant, mais néanmoins sérieux, de Selvie guettait la moindre de mes réactions. Je poussai un grognement grincheux, rabattis ma couette sur ma tête.

— Debout espèce de marmotte ! On va virer Cobb de chez nous à coups de pieds et récupérer tes cent soixante-dix millions.

La mention de la somme parvint à m'arracher un sourire, je me redressai en position assise, frottai mes yeux encore bouffis de larmes et de sommeil. Vu les sillons de sel séché qui tiraient sur la peau de mes tempes, j'avais dû pleurer dans la nuit. Sincèrement, je ne m'en souvenais pas, mais je me rappelais avoir fait des cauchemars, chose qui ne m'était plus arrivée depuis des années.

Mais Selvigia ne me laissa pas le temps de faire le tri dans les souvenirs encore brumeux de la veille ; elle me tira debout, me poussa vers la salle de bains et claqua la porte derrière moi.

— Tu as dix minutes, on doit être chez Kaiser juste après !

Trop fatiguée pour râler, je ne songeai même pas à regarder mon téléphone pour la contredire. Cinq heures de sommeil entrecoupé de cauchemars, ce n'était pas exactement la recette d'une bonne nuit de repos ; j'avais l'impression de n'avoir réellement dormi que deux heures. Je pris une douche glacée en quatrième vitesse, le poil hérissé au contact du liquide sur ma tête, me lavai le visage à grand renfort d'eau, tentai une ombre de sourire face au miroir. Je n'y vis qu'une grimace, mais une grimace qui pouvait paraître convaincante si j'essayais vraiment.

Trois minutes avant la fin du temps imparti, j'étais dehors, propre et habillée. Selvigia m'adressa un sourire étincelant et me traîna hors de ma chambre sans même me laisser le temps de me demander si je voulais prendre quelque chose dans mon tiroir. Je souris en voyant sa bonne humeur, qui ferait du bien à l'ensemble de l'équipe. Pour ma part, je ne me sentais pas le courage de forcer une façade trop enjouée. De toute manière, les Loki qui bossaient généralement avec moi — ou qui avaient bossé avec Ekrest et moi par le passé — connaissaient mes états d'âme de maussade solitaire.

Les couloirs sombres du Manoir, éclairés par des veilleuses, grouillaient déjà de monde, mais tout le monde était silencieux dans les dortoirs communs du troisième étage. Comme nous vivions sur des horaires décalés, certains dormaient pendant que d'autres bossaient, et de fait, à part les mercredi soirs, un silence religieux était respecté dans les espaces de vie commune.

Au deuxième étage, nous toquâmes à la porte du bureau de Kaiser, qui vint nous ouvrir elle-même, et esquissa une ombre de sourire narquois en me voyant.

— Lilith, entre. Ça faisait longtemps...

Je souris à mon tour, ironique. Effectivement, moins de vingt-quatre heures, un record.

— Eva, je suppose que tu fais la RMC avec elle ?

Ma sœur acquiesça, mais ne franchit pas le seuil du bureau.

— Je vais m'occuper de ce qui reste. Lily, portail quatre.

— Noté, merci ! lui souris-je depuis l'intérieur alors qu'elle tournait les talons pour me laisser seule dans l'antre de la lionne.

Dès que la porte se fut refermée, Kaiser laissa échapper un long bâillement, preuve que ses nuits à elle n'avaient pas été plus reposantes que les miennes puis, plutôt que de s'installer directement à son bureau, elle alla vers l'autre coin de la pièce, meublé par trois fauteuils et une petite commode.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant