| 17 † 1 |

56 11 13
                                    

Après ma dernière série de cent pompes, je me laissai retomber sur mon matelas, exsangue, et fixai le plafond, peinant à reprendre ma respiration. Je n'étais pas en proie au vrai doute, pas encore, mais je n'étais plus aussi intimement convaincue qu'auparavant. L'insistance de Kalyan m'avait déstabilisée. Un nœud s'était formé dans mon ventre depuis qu'il m'avait enfermée à nouveau sans m'avoir interrogée correctement. La procédure était trop inhabituelle, et la discussion que nous avions eue avait été totalement incongrue et improbable. Perturbée, j'avais dédaigné le plateau-repas qu'on m'avait apporté peu après mon retour en cellule, et m'étais contentée de boire un peu d'eau et de profiter de l'absence de coups pour m'auto-torturer... soit enchaîner environ ce que je savais être de longues heures d'exercice, avec quelques rares pauses. C'était la seule chose qui me permettait d'évacuer la tension et de me sentir au contrôle. Au fond de moi-même, je voulais encore croire que c'était encore une tentative de manipulation comme une autre. Après tout, Kal était l'assassin d'Ekrest.

— Tu ne manges pas ? interrogea sèchement le garde qui faisait sa ronde en se penchant pour récupérer le plateau.

Je souris faiblement, mais étendis mes mains vers le sol et tirai la nourriture vers moi. J'avais fini par m'habituer à l'arythmie de ma nouvelle vie. Il n'y avait pas de cycle défini, pas de routines qui m'auraient enfermée dans la monotonie. Les visites de mes matons avaient aussi peu de régularité que les repas que je prenais. Il me fallait profiter du peu qu'on m'offrait mais, aujourd'hui, avec mes pensées en vrac, j'avais préféré me focaliser sur mes exercices pour ne pas laisser mes pensées vadrouiller trop loin.

Un soupir m'échappa. La solitude volontaire ne me dérangeait pas, mais être ainsi coupée du reste de ma famille me donnait un certain mal du pays. Hors de question pour moi de l'admettre à mes geôliers, mais j'aurais donné cher pour pouvoir parler plus de trente secondes à un être humain – Selvigia, en particulier. Depuis trop longtemps, les échos du silence se réverbéraient dans mon crâne, et ma propre voix me paraissait parfois étrangère. J'en venais presque à déplorer l'absence de Kalyan ; c'était la seule compagnie que j'avais, en dehors d'Elisabeth.

— Hé ! criai-je, mue par une impulsion soudaine.

Le maton, qui se dirigeait déjà vers l'angle le plus proche, un grand Black baraqué digne d'une série américaine, se dirigea vers moi avec un soupir audible. Je me redressai sur un coude, le considérai un instant, hésitante.

— Ouais ?

— Est-ce que je pourrais au moins savoir l'heure ? improvisai-je à toute vitesse.

La vérité était que j'avais besoin de parler, peu importait le sujet. En salle de torture comme au quotidien, je demeurais généralement aussi muette que Vidar, mais si je continuais dans cette voie, bientôt, ce serait la privation sensorielle qui aurait raison de ma santé mentale.

— Dix heures moins cinq, répondit-il sans accorder un regard à sa montre.

Matin ou soir ? eus-je le temps de songer avant qu'il ne tourne les talons. Je le rappelai :

— De quel jour ?

Il ne répondit rien.

— Quel temps il fait, dehors ?

Il revint en arrière, ne réfléchit qu'un bref instant.

— Pluvieux. Mais ils annoncent du soleil pour bientôt. Pourquoi ?

— Pour savoir. Dis, t'es pas le type qui s'occupe de 'Ness ?

Un sourire attristé, teinté de commisération, étira ses lèvres, et je dus batailler pour ne pas me braquer instantanément. Je ne voulais pas de la pitié d'un Thor.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant