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Bien plus tard, assise seule dans ma cellule, j'avais encore le regard dans le vague. Le terme technique était simple : dommages collatéraux. C'était tout ce que les miens seraient. Tout comme Sam avait failli l'être à Barcelone, à cause de Levi et d'Adam. Mais après des années à lutter pour ne jamais perdre un homme en mission, parfois au mépris de ma propre sécurité, les livrer aux loups moi-même...

Au bout du compte, valais-je réellement mieux que ceux qui m'avaient envoyée ici ?

L'esprit en vrac, je me levai, commençai à faire les cent pas dans l'alcôve. Ça ne me changeait pas des six heures précédentes, que j'avais passées à alterner entre apathie totale, allongée sur ma couchette, et tours de cellule nerveux, ressassant encore et encore ma décision de sacrifier une base de la Confrérie à cause de deux traîtres. Une fois sortie de la salle d'interrogatoire, rattrapée par la solitude et la réalité, j'avais failli m'effondrer en larmes, brûlée par la honte, déchirée par la culpabilité. La seule chose qui m'avait permise d'encaisser, au moins partiellement, le choc, avait été, comme toujours, le souvenir des mots d'Ekrest, et la certitude que j'avais besoin d'un point d'accroche avec Kalyan – autre que notre passé commun violent, évidemment.

— Hey !

Ma porte grillagée s'ouvrit en grinçant, et je me retrouvai face au regard vert feuille, lumineux, d'Elisabeth. Le large sourire enfantin qui éclairait ses traits était si contagieux que je lui retournai la mimique par réflexe, en une version un peu moins enjouée, mais suffisamment efficace pour chasser une grande partie de mes pensées désagréables.

— Alors comme ça, on négocie des dîners aux chandelles ? attaqua-t-elle d'emblée, taquine.

— N'oublie pas ce qui vient après...

La fille d'Eir roula des yeux, les joues rosies, et je pouffai doucement. Elle me fit signe de sortir, referma derrière nous, et nous mena tous – moi et mon escorte habituelle de quatre gardes – jusqu'aux douches communes, vides à cette heure-ci. De toute manière, à chaque fois que j'avais eu le droit à une douche, cela avait été en solitaire. Probablement à cause de ma position d'Élite, on ne m'avait jamais autorisée à fréquenter d'autres détenus... ce qui m'arrangeait bien. Recroiser des visages familiers à l'heure actuelle n'était pas exactement une priorité, au vu de ma situation précaire de collaboratrice. En outre, il me semblait également que les prisons des Thor n'étaient pas spécialement remplies.

— Pour l'occasion, tu as le droit à une douche, me lança mon infirmière attitrée.

Je passai la porte surplombée d'un écriteau bleu « docce » terni par les ans – l'un des seuls marqueurs de notre localisation en Italie, outre mes connaissances en matière de localisation de bases adverses.

— J'ai déjà négocié les douches quotidiennes, signalai-je avec un rictus.

— Ce qui explique pourquoi tu n'empestes pas autant que les autres... ricana-t-elle en haussant un sourcil.

J'en levai un à mon tour, partagée entre scepticisme et amusement.

— J'empeste, moi ?

Elle rit, mais ne me répondit pas. La soldate métisse qui m'accompagnait dans mes longs voyages quotidiens entre ma cellule et les salles d'interrogatoire se glissa à l'intérieur à notre suite, attendit que je sois dévêtue et placée sous l'un des pommeaux pour fermer derrière moi et me démenotter. Je fermai les yeux, essayant d'imaginer la situation si j'avais été traitée comme tous les autres.

La salle d'eau était assez petite, plus large que profonde, entièrement couverte de carrelage gris pâle. Une vingtaine de cabines exiguës, qui se verrouillaient de l'extérieur, s'alignaient les unes à côté des autres, à peine assez larges pour pouvoir écarter un bras en gardant le coude plié. Obligation de se déshabiller devant les autres, et en sachant qu'ils ne prenaient probablement pas la peine de séparer les hommes et les femmes ou les Loki des Vanir...

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant