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— Je crois que j'aime Selvigia, lâcha-t-il tout à trac.

— QUOI ?

Abasourdie un moment, je pris sur moi pour ne pas paraître trop surprise, ravalai les insultes que j'avais déjà préparées pour le dissuader de m'approcher d'un peu trop près.

— Tu sais que c'est une très mauvaise idée de me dévoiler ça ? narguai-je enfin.

— Je sais.

Son ton sérieux me déstabilisa profondément. Il avait toujours été un abruti arrogant et pénible à supporter durant les missions, un supérieur hiérarchique irresponsable et incompétent, qui soutenait toujours un peu trop Adam dans les Jeux de pouvoir du Manoir. Et les quelques rares missions que nous avions effectuées ensemble avaient toutes failli tourner à la catastrophe, notamment Barcelone.

— Et donc ? relevai-je sans comprendre où il voulait en venir.

Il me jeta une œillade entendue, et je me braquai brusquement en réalisant ce que signifiait l'insistance de son regard.

— Non. Je ne suis pas un pigeon voyageur.

Je grognai, boudeuse. C'était hors de question. Et de toute façon, même si j'acceptais, je perdrais mon temps dans quelque chose qui ne marcherait jamais. Les sentiments de Selvie à l'égard de Levi étaient loin d'être amicaux, sans même chercher plus loin.

— S'il te plaît !

Je cillai. Il me suppliait. Levi me suppliait. Levi, ou la personne qui ne pouvait presque pas me voir en peinture depuis que j'avais intégré l'Élite, était venu m'implorer de l'aider. Intéressant. D'une part, cela signifiait qu'il le voulait vraiment, et d'autre part, ça prouvait qu'il n'avait pas d'autre choix que de s'adresser à moi, sinon il aurait gardé le silence. Il avait beau être un imbécile, parfois, il ne l'était pas lorsqu'il s'agissait de ses intérêts. Et si je me laissais désirer... non. Il chercherait des moyens de pression. Il ne me lâcherait pas de sitôt. À tous les égards, je pouvais en profiter tout de suite plutôt que de le laisser fouiner dans ma vie. Je souris, sadique.

— Et en échange ?

Il avait dû prévoir le coup, puisqu'il ne parut pas particulièrement surpris par la question. Mais je l'arrêtai avant qu'il ne me propose quelque chose.

— Je sais, décidai-je. Je veux que tu me défies à la cérémonie de promotion.

Il hésita, se mordit les lèvres. S'il acceptait, il remettait sa vie entre mes mains. S'il refusait, ses minces chances de croiser Selvigia – qui le fuyait comme la peste – partaient en fumée. Grand dilemme.

— À la condition que tu ne me tues pas, se résigna-t-il finalement.

— Je devrais pouvoir survivre à ça...

Il fronça le nez, sceptique, mais me tendit la main :

— Marché conclu. Mais par pitié, ne m'humilie pas trop.

— Tu le fais déjà très bien tout seul.

Je lui adressai un dernier sourire étincelant, et m'éloignai à grands pas. Levi était le sixième en termes de puissance magique, en passe de devenir cinquième puisque tout le classement se décalerait bientôt d'un cran. L'affronter officiellement me permettrait de légitimer une fois pour toutes ma place de première agente de la Confrérie, de rappeler à tout le monde qui succédait à Ekrest. Et de décrédibiliser un abruti dans les règles de l'art.


L'immense bibliothèque qui s'étendait sur trois étages fut mon sanctuaire pour le reste de la journée. Dans le calme intemporel du rez-de-chaussée, où s'entassaient les antiques textes de magie théorique, assise face à une large cheminée dont le feu était perpétuellement entretenu, je me plongeai dans la lecture d'un traité de magie runique. Apaisée par les crépitements des flammes et l'odeur de poussière qui régnait sur ces lieux, je ne levai le nez de l'ouvrage qu'à vingt-et-une heures passées, le crâne bourdonnant de formules rituelles et d'incantations en elfique, mais satisfaite de ma progression.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant