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Accoudée contre la table de fer, enfin libre de mes mouvements – nouveaux privilèges obligeaient – je fixais ces yeux azur, qui me sondaient, cherchaient à deviner ce que je demanderais cette fois-ci. Une agréable routine s'était installée : un jour sur deux, Kalyan venait me voir avec une question tactique ou une requête stratégique. Le lendemain, c'était à mon tour d'énoncer en premier ce que je voulais, et lui demandait une contrepartie. J'avais déjà décidé, pour ma part, mais il restait à savoir ce qu'ils réclameraient en retour.

Ils. Les chefs de la Maison de Thor, de véritables fantômes sociaux, retranchés dans leur château depuis des millénaires. Je n'avais qu'une vague idée de leurs noms et de leurs apparences – pour ceux qu'on connaissait – et depuis que j'étais ici, je rassemblais en vain ce que je savais d'eux pour essayer de déterminer qui dialoguait avec moi à travers l'intermédiaire de Kalyan. Ne pas les voir, ne pas connaître leurs premières réactions, ne m'aidait pas à faire le tri dans les informations. Pas que cela importe vraiment, mais j'aurais quand même préféré savoir avec qui je traitais réellement.

— Mademoiselle Síverdín, que voudriez-vous aujourd'hui ?

Aujourd'hui était l'un de ces étranges jours où je pouvais énoncer des souhaits, un luxe que n'aurais pas pu me permettre un mois plus tôt. Sans même parler de les voir réalisés.

— J'aimerais... te poser des questions, à toi personnellement. Et être certaine que tu y répondras honnêtement.

Il haussa un sourcil.

— Sous sérum de vérité ?

— Exactement, acquiesçai-je. Cinq questions, auxquelles tu réponds sincèrement.

— Et... hésita-t-il. Si je ne veux – ou peux – pas répondre ?

— Tu me le dis, et je t'en pose une autre. Du coup, je reformule : je veux cinq réponses au total. Mais...

Je fis une pause, pensive, jouant sur les éventualités qu'il pouvait envisager. La contrepartie que je voulais proposer était plutôt facile à deviner, et elle était aussi évidente que facile à appliquer.

— Mais tu ne peux pas être certaine que ce sera réellement le thiopental modifié que l'on m'administre, à moins qu'on te l'administre aussi, n'est-ce pas ?

Kalyan avait compris sans mal. Je lui adressai un sourire lumineux, acquiesçai.

— Et la contrepartie serait une question pour une question... poursuivit-il, pensif. Des questions intéressantes, évidemment, mais pas trop centrées sur le travail, parce que tu ne voudrais pas y répondre non plus. Qu'est-ce qui me garantit que tu répondras honnêtement, toi aussi ? Ce ne serait pas la première fois que tu mens sous sérum...

Je ricanai silencieusement en voyant qu'il avait évité mon piège avec adresse, à peine dépitée. J'avais prévu qu'il voie au travers de mes intentions ou que, à défaut, ce soient ses supérieurs qui l'avertissent. Et ils n'avaient pas tort de se méfier, mais je n'avais pas l'intention de tricher, pour une fois.

— Tu le sais maintenant, je n'ai qu'une parole. Je ne mentirai pas, énonçai-je fermement. Et, si tu le veux vraiment, tu peux ramener un Týr, lui saura discerner la vérité.

Un léger frisson courut le long de mon échine. C'était risqué, pour moi, d'accepter de lui répondre sincèrement ; il me connaîtrait mieux, me cernerait mieux. Mais je voulais savoir. J'avais besoin que quelqu'un réponde enfin à mes interrogations.

Kalyan demeura silencieux un moment. Je posai mon menton sur mes mains, fermai les yeux, le temps qu'il se décide à aller voir les siens pour en discuter. Mais il ne bougea pas, même quand un petit coup sec contre la porte se fit entendre.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant