[OS] Le fauve

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— Une visite du maître des lieux... Qu'ai-je donc fait pour mériter un tel honneur ?

La voix, railleuse, mais néanmoins mortellement sérieuse, ramène chez Kalyan un flot de mauvais souvenirs. Il serre les dents. Ce type est celui qui a appris à Lilith tout ce qu'elle savait. S'il y a bien quelqu'un qui peut connaître ses points faibles, c'est lui.

Dommage qu'il ne veuille rien dire.

— Tes cerbères sont obligés d'être là ? poursuit le Loki, provocateur. Promis, je serai sage.

Le Thor congédie d'un geste les gardes qui l'accompagnaient jusque là. Ils haussent un sourcil, mais obéissent sans discuter à leur chef. Et Kalyan demeure seul dans la cellule fermée d'Ekrest d'Aube-Court, l'une des personnes les plus menaçantes qu'il ait jamais eu l'occasion de croiser. Il se souvient de « la » crise. Celle de Lilith, lorsqu'elle a vu son mentor derrière les barreaux, était impressionnante. Mais celle d'Ekrest... Oh, par tous les Ases. S'il n'avait pas vu les enregistrements des caméras de sécurité, il n'y aurait pas cru. Un homme, désarmé, sans pouvoirs. Contre trente, armés de matraques, qui entraient deux par deux au pas de course. Un contre trente, trente contre un.

Huit survivants.

Dès lors, personne n'a voulu entrer dans la cellule numéro dix-neuf. Et voilà que Kalyan est là, seul. Potentiellement en danger de mort, même si le fauve a pour le moment l'air calme.

— Elle a entamé les négociations.

— Tant mieux.

La voix est calme, le ton dénué d'émotions. On dirait presque que ça ne l'affecte pas.

— Tu connais ses faiblesses. Ce qu'elle aime, ce qu'elle désire. Jusqu'où elle est prête à aller.

— Ah bon ?

Ekrest sourit, comme fier de sa propre blague. Kalyan roule des yeux. Il sait maintenant d'où Lilith tient son humour particulier.

— Tu as au moins une vague idée, je suppose ?

— Peut-être. Peut-être pas. Qu'est-ce que ça change, puisque je ne te dirai rien ?

— Elle va probablement négocier en votre faveur... mais je peux peut-être déjà améliorer quelque chose ?

Le brun hausse un sourcil sceptique.

— Qu'est-ce qu'on peut demander de plus qu'être vos cobayes pour vos séances « d'entraînement » ?

Kalyan ravale difficilement la bile qui lui monte à la gorge, lutte pour garder sa façade neutre à la mention des atrocités qui sont encore quotidiennement commises par sa Maison. Emma lui a bien proposé de venir ici à sa place, de mener l'interrogatoire à sa manière, mais il a refusé. Il sait que ça ne marchera pas, d'Aube-Court est bien trop solide pour ça. L'expression fermée qu'il arbore actuellement n'est qu'un pâle reflet de sa froideur, de la distance effarante qu'il peut mettre entre son esprit et les souffrances physiques qu'il endure.

Un bâillement échappe au blond, mais la simple idée de se retrouver dans son lit lui donne la nausée. Il se voit dans le miroir chaque matin, il voit ses cernes qui grandissent et bleuissent chaque jour un peu plus sous ses yeux. Son sommeil n'est plus réparateur depuis des semaines.

Et Ekrest le voit. Tel un vautour qui repère la faiblesse d'un animal mourant, il s'engouffre dans la faille, visant la jugulaire.

— Épuisé parce que Lilith te donne du fil à retordre, ou parce que ta sœurette te l'a encore faite à l'envers ?

Que le Loki en sache autant sur les différends qu'il a avec sa sœur ne surprend même plus vraiment le Hamershot. Il le sait probablement grâce aux gardes qui jacassent quand ils ramènent les prisonniers à demi inconscients dans leurs cellules, ou bien par les échos de discussions qu'il capte dans les couloirs. On prend moins de précautions devant les prisonniers de la Centrale quand on sait qu'ils ne sortiront probablement jamais de là... à moins que ce ne soit dans un cercueil. Ils font quasiment partie intégrante de la vie courante du Q.G..

Mais le coup porte. Précis, presque chirurgical. La stabilité de sa relation avec sa sœur, qui s'étiole un peu plus de jour en jour, le tue. Récemment, ça a pris des proportions dramatiques.

— Qu'est-ce que je peux t'offrir en échange de ta collaboration ? demande-t-il néanmoins.

Avoir deux Loki dans leur camp serait un véritable rêve pour les chefs militaires de la Maison de Thor. Malheureusement, il peuvent toujours rêver. Ekrest a été une véritable tombe durant ses premiers mois ici, aussi muet que Vidar, et même la présence de quelqu'un qu'il semble aimer profondément ne va probablement pas changer ça.

— Parle-moi de vos séances de torture... finit par demander le Loki avec un sourire en coin. Qui sait, je pourrais malencontreusement laisser échapper une information sensible ?

Le fils de Thor hésite. Mais après tout, que peut-il perdre, ici ? Rien. Alors il raconte. Il raconte les flammes, les tisonniers, la chambre froide, la famine, les coups, les lames, l'hypnose, la goutte d'eau. Tout le long, Ekrest ne cille pas, sourit même parfois lorsque Kalyan décrit les réactions de Lilith. C'est seulement à la mention du waterboarding que le brun se tend comme un ressort, et, brièvement, le blond craint pour sa vie. Le regard turquoise s'est fait meurtrier, brûlant d'une rage incendiaire, à peine contenue. La terreur le prend à la gorge, il recule légèrement vers la porte. Soudain, il n'est plus totalement certain de sortir de cette cellule vivant.

— Et ensuite ?

Même si le corps est crispé, la voix est froide et posée. Le ton exige une réponse. Alors, le cœur battant, Kalyan lui raconte qu'ils ont continué. Pendant des heures, sans rien obtenir. Puis, qu'en fin de compte, il ont abandonné. Ekrest respire un peu plus librement, clairement soulagé. Kalyan devine que ses conclusions étaient justes, qu'il aurait peut-être pu briser Lilith avec le waterboarding. Mais il faut qu'il demande une confirmation malgré tout, sinon Björn, son aîné, lui passera un savon. Ils ont besoin d'un plan de secours, au cas où Lilith cesse de divulguer des informations, et tous les moyens sont bons pour l'obtenir.

— Est-ce qu'on aurait éventuellement pu réussir ?

Ekrest ne retient pas un sourire mauvais, lui rit au nez.

— Dégage.

Par principe, le blond voudrait protester, mais la lueur meurtrière dans les yeux turquoise de son interlocuteur l'en dissuade. Sur le pas de la porte, cependant, il hésite.

— Dois-je te rappeler ce qui est arrivé à vingt-deux de tes soldats ? siffle le Loki.

Le visage couturé de cicatrices, presque impossible à reconnaître, n'en témoigne que trop bien. Le fauve est de retour, dangereux, imprévisible. Et Kalyan, seul, sait qu'il n'a aucune chance de s'en sortir si l'autre attaque. Alors il fait la seule chose qui lui est encore permise : il se replie en sécurité, derrière les barreaux, là où le Loki ne peut pas l'atteindre. Il fuit les flammes glacées qui brûlent dans les iris turquoise, la promesse d'une mort lente et douloureuse qu'il entrevoit, châtiment pour celui qui a passé des semaines à torturer l'élève d'un tueur.

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Helloooow !

Ça faisait trop longtemps que je n'avais pas posté de vrai texte dans le coin, j'ai eu envie de vous partager un petit OS qui traîne dans mes fichiers depuis très longtemps. À une époque, j'avais envisagé de l'inclure en intro de partie ou en interlude dans le T1, mais au bout du compte... il a pas passé les tests de sélection. XD

J'espère qu'il vous aura plu :)

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant