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Le sol se rua à ma rencontre, l'air froid siffla à mes oreilles. La douleur irradiait en étoile depuis mon épaule, ne serait-ce que parce que je m'étais jetée de plein fouet dans une vitre malheureusement assez solide, mais aussi parce que, forcément, quelques débris de verre avaient percé ma peau. Ceci dit, cela n'avait pas vraiment d'importance à l'heure actuelle, parce que les pavés se rapprochaient bien trop vite. J'entendis vaguement un cri perçant, indubitablement féminin, suivi d'un choc cristallin.

Et puis, mes pieds joints percutèrent la pierre. La douleur fusa depuis mes talons, remonta jusqu'à mes hanches en aiguillant tous les muscles qui se trouvaient dans mes jambes, malgré toute la souplesse de mon atterrissage. Je grognai, pliai les genoux, croisai les bras devant mon visage, roulai en avant, me barricadant au passage contre tous les signaux de mon corps.

Avant même que mon cerveau à la ramasse sur mes réflexes ne reprenne le dessus, j'étais debout, et un second corps roulait près de moi.

Un instant plus tard, je volais à nouveau, yeux fermés, rétines brûlantes à cause du flash lumineux aveuglant. Mon oreille interne dut m'abandonner à ce stade-là, parce que je n'étais plus en état de discerner le haut du bas, le ciel de la terre. Bras ballants, incapable de lutter contre l'onde de choc, je me laissai porter par le souffle de l'explosion, qui me projeta violemment contre le mur le plus proche.

On aurait dit qu'une bombe avait été lâchée. Dans un rayon de trente mètres les toitures avaient été pulvérisées, les étages supérieurs atomisés. Les rez-de-chaussée avaient miraculeusement survécu pour la plupart, excepté le petit café qui avait été la cible principale de l'attaque. Mais outre le bâtiment de négociation totalement en ruines, l'éclair avait aussi frappé une voiture garée dans la ruelle. La douleur du choc de mon crâne contre un mur de pierre ne fut rien par rapport à la souffrance qui explosa dans mon ventre quand je m'empalai sur un morceau de portière brûlant arraché à la carrosserie. Je sentis, avec une précision ignoble, le métal s'enfoncer profondément dans mon ventre, tout déchirer et carboniser sur son passage. Un hurlement de souffrance pure m'échappa ; je roulai sur le côté, emportant le fragment avec moi.

Des points noirs jaillirent devant mes yeux, sans que la douleur ne reflue. Je serrai les dents, les poings, les orteils, toute articulation qui répondait encore, allongée au sol. La douleur submergeait tout. Je me noyais dans les informations de mes neurones sensoriels, incapable de faire le tri, incapable de comprendre ce qui m'arrivait. Mon cri mourut sur mes lèvres, mon esprit décrocha, court-circuité par l'overdose d'informations. Spectatrice, consciente de mon propre corps mais impuissante, je demeurai immobile, malgré les aiguilles qui semblaient s'enfoncer dans tout mon être et la brûlure dans une zone entre mon estomac et mes côtes.

Je savais ce que j'aurais dû faire. Sauf que j'en étais incapable.

Alors je me contentai de respirer. Les yeux fermés, allongée sur le pavé glacial d'une ruelle stockholmoise, je m'abandonnai aux signaux de mon corps, les écoutai, me noyai dans la douleur, jusqu'à m'y habituer, savoir la localiser précisément. En même temps, à défaut de pouvoir les appliquer, je me serinais les paroles d'Ekrest comme une incantation protectrice.

Dissimule-toi d'abord, aurait dit mon mentor.

Lentement, au raz du sol, j'agitai les doigts, me couvris d'une illusion d'invisibilité. Immédiatement, je sentis l'impact que cela avait sur tout mon système, comme un coup supplémentaire dans la plaie. Mes poumons se vidèrent, un grognement rauque m'échappa. Les yeux toujours fermés, des éclats de douleur blanche dansant devant ma rétine au rythme des battements erratiques de mon cœur paniqué, j'attendis une dizaine de secondes en me répétant les phrases suivantes.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant