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Soudain, un long et effroyable grondement emplit l'air. Un vent froid, chargé d'ozone, s'engouffra par la porte ouverte ; le gaz blanchâtre sembla brièvement luire dans la lumière de la foudre qui s'abattait à l'extérieur du bâtiment. Tendue, les poils de mes bras hérissés, je m'immobilisai, tout comme quatre assaillants. Le tonnerre résonna encore quelques secondes, comme une série de crépitements électriques profonds et menaçants, puis le silence tomba.

— Colombo ? murmura quelqu'un dans les comms. Colombo, situation dehors ?

Rien, pas même des grésillements d'interférences. Juste le silence le plus total, qui ne pouvait signifier qu'une seule chose.

— Putain...

Au temps pour mon plan de fuite... songeai-je avec une grimace. Mon cœur se serra à l'idée de la vingtaine de morts qui devaient s'aligner dehors. Mais déjà, l'entraînement d'Ekrest prenait le dessus sur la pitié que j'aurais pu ressentir. Mon esprit se vida, ne se focalisa que sur l'action du moment. Ils étaient distraits. Vulnérables.

Je pointai le nez hors de mon repère, repérai la sortie principale, par laquelle tout le monde avait dû fuir, localisai les quatre hommes qui restaient. Un encore derrière moi, deux à ma gauche, un à ma droite. Celui sur ma droite était le plus proche.

Tout se passa en un peu plus de quatre battements de cœur. Je me calai à genoux, fusil contre mon épaule, visai les deux qui étaient sur ma gauche, et tirai deux fois. Ils n'étaient pas encore tombés que je laissais mon dos basculer en arrière, sous le couvert de la table, évitant du même coup la salve instinctive qu'avait lâchée celui de droite.

Je comptais sur une erreur de sa part. Et il la fit. Évidemment qu'il la fit. Avec la majorité des siens morts, un seul coéquipier encore debout, et une assaillante trop douée qui venait de descendre douze personnes, il fit l'erreur classique de foncer vers moi.

À l'instant où j'entendis ses pas près de ma cachette, je m'orientai dans leur direction. S'il avait attendu son confrère pour soulever la table, il aurait peut-être pu s'en sortir. Mais il n'attendit pas. Il tenta de me forcer à découvert, seul.

La quinzaine de balles qui criblèrent son torse et la table renversée furent les seules témoins de son incompétence. Il chuta, alors que j'étais déjà debout, à la recherche du dernier, qui se terrait non loin. Une seule idée demeurait : abréger cette mascarade au plus vite. La porte grande ouverte laissait le gaz se dissiper près de l'entrée. J'allais sortir par là, mais il n'y avait aucun risque que je laisse quelqu'un derrière moi vivant. Et le pauvre Freyr savait probablement déjà qu'il n'avait aucune chance.

J'entendis le raclement d'une chaussure contre le carrelage, ne bougeai pas d'un cil, à l'écoute. Il tentait de se déplacer vers la sortie. Même s'il y avait des Thor dehors, même s'il savait qu'il n'y arriverait probablement pas. Un fin sourire attristé éclaira mes lèvres. C'était louable, mais désespéré.

Un couteau fendit l'air. Je tournai la tête, le vis s'écraser juste assez loin de moi pour comprendre que le Freyr l'avait lancé au jugé, juste pour me distraire. Le temps que je pivote à nouveau, il sprintait vers la porte. Mais j'avais tourné la tête, pas le reste de mon corps. Attentive, mais pas née de la dernière pluie. Mon doigt s'attarda sur la détente le temps d'un battement de cils. Avec l'élan accumulé, le corps du Vane parcourut encore quelques mètres, s'écrasa sur le pas de la porte. Je poussai un long soupir.

— Ô déesse, sœur du Loup, murmurai-je, toi qui résides dans les plaines glacées de Niflheim, ouvre tes grilles aux âmes de ceux qui partent ce soir rejoindre ton royaume. Reine des profondeurs, j'implore ta clémence pour mon âme noircie par le sang que j'ai fait couler ; trouve-lui un siège en ta halle Eljudnir, car le Valhalla ne m'accueillera pas. Demi-sœur, je m'en remets à ton juste jugement lorsque mon heure viendra ; entends ma prière, accorde-moi ta protection jusqu'à ce que je rejoigne ton royaume.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant