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Trop de lumière jaune, décidément. J'avais été maintenue durant des semaines dans des salles blanches éclairées aux néons blancs bleutés, et cet afflux de couleur soudain me faisait presque mal aux yeux. Mais dans le même temps, je contemplais avec ravissement l'éclat des lampes qui se reflétaient dans les miroirs du large hall d'entrée, miroirs dans lesquels je pus par ailleurs enfin me détailler des pieds à la tête.

Pour rendre à Andvari ce qui était à Andvari, Elisabeth avait vraiment fait un excellent travail ; elle avait réussi à me rendre jolie. Vraiment jolie, même selon mes propres critères, et j'étais assez critique quant à mon apparence. Un maquillage léger, sobre mais efficace, des cheveux propres et élégamment maintenus par une jolie tresse cascade. De plus, la maigreur de mon corps aidant, la combinaison me donnait une svelte silhouette de mannequin.

Je m'attardai aussi sur mon compagnon, pour la première fois de la soirée. Ses cheveux n'étaient, malheureusement pour lui, plus aussi bien coiffés qu'ils auraient dû l'être, mais je les préférais sincèrement ainsi. Quant au complet taillé sur mesure... on pouvait difficilement faire plus chic. Bon, il avait laissé la cravate et le nœud papillon dans le placard, probablement pour éviter que je ne l'étrangle avec, mais outre ce petit détail, il était parfait.

Un bref instant, je me retrouvai projetée deux mois en arrière, dans cet hôtel parisien où je l'avais vu pour la première fois. L'impression demeurait, il avait cette allure de jeune cadre, doué et élégant, déterminé à aller au bout de ses idées. Brièvement, je me demandai si c'était ce qui se serait passé à Paris s'il n'avait pas été un Thor. Si nous aurions dîné ensemble, si nous aurions fini dans ma chambre. Peut-être. Même le luxe du paysage était similaire, quoiqu'il versait un peu plus dans l'opulence ici. Le carrelage beige lustré brillait sous l'éclat des lampes, les tables étaient couvertes de nappes blanches immaculées, les verres étaient en cristal et les couverts en argent. En m'asseyant dans une chaise tendue de velours ivoire que Kalyan m'avait poliment tirée, je considérai avec attention les autres convives, et eus l'occasion de découvrir une bonne douzaine de prunelles azur, mais aussi nombre d'iris banals, mortels.

— Whaou, marmottai-je.

Kalyan, qui finissait de s'installer en face de moi, se permit un sourire indulgent.

— Pas le genre de restaurant auquel tu t'attendais ?

— Effectivement, concédai-je avec un rictus. J'escomptais un truc plus modeste.

— On s'est dit que, au vu de ce que tu nous avais déjà donné, il était plus que légitime de te récompenser.

Ils voulaient surtout m'acheter d'autres renseignements, et cette soirée était un moyen comme un autre pour me motiver. Je penchai la tête sur le côté avec un léger sourire.

— Tu passeras mes sincères remerciements.

Il acquiesça, tandis qu'un serveur au sourire figé et aux yeux fuyants s'approchait. En italien, je commandai un cocktail, Kalyan de l'eau et une bouteille de champagne, et le pauvre type repartit presque au pas de course, probablement conscient que l'un de ses patrons se trouvait actuellement en face de lui.

L'esprit ailleurs, je répondis distraitement aux quelques questions qu'il me posait de temps en temps, menai moi-même la discussion vers les eaux troubles de l'enfance sans réellement m'en rendre compte. J'entendais, j'enregistrais, mais je n'écoutais pas à proprement parler. Mes doigts glissaient presque naturellement vers le couteau posé à ma droite.

La lame dentelée se mit à danser entre mes doigts, légère, furtive, trop rapide pour un œil humain. Un sourire m'échappa lorsque je sentis le métal frotter contre ma peau par mouvements éphémères, aériens. La rotation s'accéléra encore, je soulevai légèrement ma main pour éviter que le couteau ne cogne contre la table, fermai les yeux. À l'aveuglette, devinant la tension qui régnait dans la pièce et les quelques regards que la famille de mortels à ma gauche devait me lancer, je poussai le mouvement à la vitesse maximum durant quelques secondes, puis le ralentis. Mon sourire ne s'effaça pas lorsque je déposai l'arme bien à plat sur la table alors qu'en principe, j'aurais achevé ce genre de geste sur un lancer. D'ailleurs, l'expression de Kalyan m'assurait que, durant une poignée de secondes, il s'était vu épinglé au mur le plus proche comme un papillon. Je lui adressai un rictus amusé :

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant