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Le dos appuyé contre les barreaux de ma cellule, Elisabeth tapait impatiemment du pied, attendant apparemment que je me réveille. Encore abrutie de sommeil, je me contentai de lui faire un signe de la main, accompagné d'un vague sourire endormi, et repliai mes genoux contre mon ventre pour lui céder un peu d'espace sur le lit. Elle s'assit précautionneusement, comme hésitante, et je haussai un sourcil dans sa direction :

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Dis tout de suite que tu ne veux pas me voir, ricana-t-elle.

— J'ai jamais dit ça, grognai-je, encore grincheuse après avoir été réveillée si tôt.

Elle pouffa, et j'enfouis mon nez sous la couverture pour quelques secondes, le temps de me sortir des brumes du sommeil. Quand j'émergeai enfin, je me redressai, considérai Elisabeth d'un regard critique. Quelque chose dans son maintien avait changé ; elle irradiait d'une froide maîtrise que je ne me rappelais pas l'avoir vue manifester un jour. Face à mon inspection, elle baissa d'abord le nez, puis releva la tête pour me faire face.

— On m'a raconté qu'il y avait eu des soucis au resto, expliqua-t-elle. Et dire que je pensais que tu pourrais être sage cinq minutes !

— Les Freyr ne sont pas de ton avis, marmonnai-je. Je me suis pris une balle dans l'épaule.

Elle haussa les sourcils, et s'exclama, outrée :

— Mais pourquoi tu n'as pas demandé à me voir tout de suite ?! J'aurais pu soigner ça en cinq secondes !

Je souris, amusée par sa réaction de mère poule.

— En fait, une fois la balle retirée, je ne voyais pas l'intérêt de te faire appeler juste pour un petit trou, et comme j'ai pu me transformer derrière...

Ses yeux vert pâle roulèrent dans leurs orbites. Pour lui prouver mes dires, je tirai sur la manche de mon t-shirt, dévoilant une peau intacte qui lui tira à elle un soupir las et blasé, et à moi un sourire taquin. En général, pour peu que je n'aie pas des os brisés ou des hémorragies internes, j'évitais de faire appel aux Eir. J'étais une adepte des solutions rapides qui me permettaient de retourner combattre au plus tôt, mais ça avait tendance à irriter lesdites Eir que je ne vienne pas les voir. Elles avaient leur petite fierté personnelle quand elles soignaient nos blessures, et mon manque de considérations envers mon propre corps les agaçait souvent.

Seulement, au lieu de me faire la morale comme ses sœurs l'auraient fait, Elisabeth poussa un petit soupir, fronça le nez, et se replia sur elle-même, comme percluse de douleurs ou paralysée de doutes. Sans même tenter de la déchiffrer, je vis sur le livre ouvert de son visage la tristesse, puis l'indécision, et enfin la détermination, teintée d'une ombre de tension.

— Est-ce qu'on peut te faire confiance ? lâcha-t-elle de but en blanc.

Sa main, posée sur sa sacoche accrochée en bandoulière, tapotait nerveusement contre le tissu. Mon front se plissa imperceptiblement.

— À quel sujet ? demandai-je.

Sa voix n'était qu'un souffle lorsqu'elle murmura :

— Tes pouvoirs.

Une grimace pensive, teintée d'amertume, que je ne l'avais jamais vue arborer, froissa les traits délicats de son visage, elle ficha ses yeux dans les miens. Lavés des doutes qui les avaient un instant hantés et de la douceur qu'ils véhiculaient d'habitude, leur acuité inquisitrice, presque agressive, me donnait l'impression d'être sondée par un Heimdall qui aurait vu à travers toutes mes illusions. Je fus parcourue d'un frisson nerveux, basculai spontanément dans un mode de réflexion analytique, presque combatif, semblable à celui où je négociais avec les Thor. D'un seul coup, la méfiance que j'avais instinctivement manifestée à l'égard d'Elisabeth au tout début de mon séjour ici était revenue, aiguillée par le pressentiment d'un changement imminent et la soudaine impression de m'être faite manipuler.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant