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Je considérai le petit groupe de l'autre côté du mur à moitié désintégré. Ils n'étaient certainement pas les seuls à m'attendre, ne serait-ce que dans ce large couloir. J'avais besoin d'une vue d'ensemble.

— Tu saurais réactiver les caméras ? interrogeai-je.

Il cilla, cherchant clairement à savoir où je voulais en venir.

— Oui, mais ce serait...

Il n'eut pas le temps de finir. Soudain, alors que rien ne l'avait annoncé, Sam s'effondra. Il ne cria pas, ne gémit pas. Seulement, ses genoux ployèrent, son arme s'abaissa, son casque cogna violemment contre le sol et la visière se fendit en émettant un craquement sourd qui résonna jusque dans mes os. Je fus sur mes pieds dans la seconde qui suivait et, sans réellement réfléchir, lançai à Kalyan :

— Couvre-moi.

Je me serais attendue à ce qu'il me jette en pâture à ses troupes sans même réfléchir, comme s. Mais il n'en fit rien. Il adressa seulement un bref regard attristé à Sam, qui gisait sur le linoléum, la respiration sifflante, se baissa pour récupérer l'oreillette par terre, puis alla se placer dans l'ouverture qui me séparait des siens, faisant barrage avec son corps.

— Chef, qu'est-ce que...? demanda l'un d'entre eux.

— Personne ne bouge, ordonna-t-il d'une voix implacable. Mettez-moi en contact avec Björn.

Avec un sursaut de lucidité, je réalisai qu'il essayait de gagner du temps, rampai jusqu'à mon demi-frère, me redressai à ses côtés. Mâchoires contractées, tentant vainement de contenir le flot qui irriguait mes joues, je relevai sa visière fendue, défis les bandes Velcro de son gilet pare-balles. Sa respiration haletante, saccadée, qu'il avait dû étouffer jusque là sous son casque, me donna la nausée. Je ne pouvais pas assister à la mort d'un autre des miens, pas maintenant.

— C'était qui...? murmura-t-il en désignant Vanessa du menton.

Sa question m'arracha un premier sanglot. Je n'avais jamais été aussi vulnérable devant lui et, au vu de son regard surpris, il s'en rendait compte. Je me mordis les joues encore plus fort, soulevai la partie frontale de son gilet avec précaution. Ses doigts glacés agrippèrent mon bras au niveau du coude, comme pour me forcer à lui répondre.

— Vanessa Crow.

Il cilla, étonné.

— Elle est pas censée...

— Être morte ? Si, si. Comme moi, non ?

Une ombre de rictus étira son visage, il haussa un sourcil.

— Toi... Hatwood... Crow... qui vous élimine... comme ça ?

Le nom m'échappa, me brûla les lèvres comme de l'acide corrosif.

— Kaiser.

Silence. À ses yeux écarquillés, je devinai sa stupeur, mais quelques instants suffirent pour qu'il encaisse la révélation. Après tout, dans une famille de fourbes et de traîtres, qui d'autre aurait pu être assez puissant pour orchestrer une si grande trahison ?

— Laisse-moi ici... souffla-t-il finalement. Avec la psycho...

Je secouai la tête en signe de dénégation.

— Hors de question.

— Lilith, je ne... peux pas... faire le... trajet...

Déjà, son souffle erratique et sifflant s'atténuait. Il fut pris d'une série de hoquets, le sang gicla sur son casque et mes vêtements. Je serrai les dents, me rappelant les semaines qui avaient suivi Barcelone. Elles avaient probablement été les plus heureuses et les plus tranquilles de ma vie au Manoir. Et, même si à la longue, le couple s'était transformé en un arrangement politico-relationnel, même avec la monstrueuse charge de travail quotidien, j'avais découvert l'absurde bonheur d'une véritable relation.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant