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Kalyan n'avait pas eu le temps de protester, j'étais déjà dehors. À quatre pattes, m'appuyant sur mes poings pour ne pas faire tinter les couverts contre le sol, je parcourus en silence trois bons mètres, parvins dans un angle de la salle en un temps record. Là, je me repliai à nouveau derrière une table, ôtai une ballerine, l'attrapai à deux doigts, le reste de ma main droite étant pris par le manche du couteau dont la pointe piquait vers le sol.

Ensuite, je fermai les yeux, et j'écoutai. Les souvenirs d'Ekrest se bousculaient dans mon esprit, amenant un léger sourire sur mes lèvres. Écoute. Même la plus faible des respirations peut être entendue. J'occultai la mienne, me focalisai sur les frottements de tissu qui accompagnaient les pas. Deux hommes, peut-être trois. Trois, plutôt. Pas lents, méfiants. Mes doigts fourmillaient, le sang battait à mes tempes. Un sourire de folle tordit mon visage en rictus dérangé. J'allais m'interposer entre des Æsir et des Vanir. Sauver des Thor.

J'étais officiellement cinglée.

Vu la distance que j'avais parcourue et les bruits que je percevais, les hommes étaient au maximum à un demi-mètre de la table sous laquelle était caché Kalyan. Il allait les accueillir au pistolet, c'était certain, mais seul contre trois, il risquait de ne pas s'en sortir, et je ne pouvais pas me permettre de l'utiliser comme appât. Si quelque chose dérapait, les Thor me mettraient tout sur le dos. Morale de l'histoire, il fallait non seulement que je protège ma peau, mais la sienne aussi... alors qu'en principe, il en était pleinement capable lui-même.

Un instant, je me demandai s'il oserait user de ses éclairs à l'intérieur. C'était dangereux, surtout avec sa puissance magique. Il était un Hamershot, il suffisait qu'il se rate d'un peu, et l'ensemble du bâtiment exploserait, un peu comme c'était arrivé à Stockholm durant la rançon de Séraphin. Mais après tout, si j'étais la seule à l'intérieur, en compagnie d'un groupe de Freyr, je ne serais qu'un dommage collatéral. L'idée me fit serrer les dents. Les Thor étaient capables de me sacrifier pour le bien d'un Hamershot, je n'avais aucun doute là-dessus. Ma survie ne dépendait que de la vitesse à laquelle je me débarrasserais de ces imbéciles d'agriculteurs.

J'inclinai légèrement la tête à gauche, puis à droite, triangulant la position de mes ennemis à la manière d'une chouette. Un instant plus tard, ma ballerine volait en direction de la sortie.

Instinctivement, les Freyr, qui guettaient le moindre mouvement, tournèrent la tête pour suivre du regard la parabole qu'elle dessinait. Mon couteau fusa, silencieux, meurtrier, se planta dans sa cible avec un bruit mat. Par réflexe, les compagnons du Freyr qui agonisait maintenant, jugulaire déchirée, firent feu dans la direction du bruit de la ballerine laquée qui cognait contre le carrelage, bien loin de ma position. Un sourire vicieux aux lèvres, j'ajustai mes deux coups suivants à quelques millisecondes d'intervalle. L'un des hommes s'effondra, l'autre eut tout juste le temps de pivoter enfin dans la bonne direction, avant de se prendre ma lame dans le cou. Enfin, vu la hauteur de mon lancer et les gargouillements qui résonnèrent, je supposai que c'était le cou que j'avais touché.

Heureusement qu'ils avaient été proches de ma position. Parce que c'était beau le lancer de couteau à vingt mètres, dans les films, mais dans la réalité, être vraiment précis à plus de cinq relevait déjà d'un bel exploit.

J'essuyai les larmes qui avaient coulé sur mes joues à cause du gaz lacrymo, chipai deux nouveaux couteaux sur la table qui m'abritait, longeai le mur à croupetons pour me rapprocher de la sortie. Fuir ou ne pas fuir, telle était la question. Tenter de filer, en sachant qu'il y avait probablement une poignée de Freyr qui veillaient un peu partout autour du bâtiment était stupide. Et pourtant, l'envie d'être définitivement débarrassée des Thor demeurait dans un coin, douloureusement tentante. Je poussai un long soupir.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant