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Je n'avais aucune idée du temps qui s'était écoulé. La seule chose que je savais, c'était que je n'étais plus dans la salle de torture. Les murs étaient toujours aussi blancs, les néons toujours aussi aveuglants, mais il n'y avait plus d'eau, juste des prunelles vert feuille qui me fixaient d'un air soucieux, perdues dans un océan de boucles rousses sombres.

Je me redressai sur un coude, encore dans les vapes. Tout était trouble, le monde tanguait autour de moi. Je vacillai, et seule une main prévenante qui se posa à l'arrière de mon crâne m'empêcha de me cogner la tête quand je retombai brutalement sur ma couchette bétonnée. J'émis par réflexe un grognement de protestation étouffé.

— Comment tu te sens ? m'interrogea doucement Elisabeth.

Nauséeuse. Asphyxiée. Noyée. Terrifiée.

Repenser au contact de la serviette sur mon nez était juste assez traumatisant pour que je vire ma couverture d'un coup de pied paniqué, m'asseye dos au mur, mes genoux sous mon menton. Je posai mes mains sur mes tempes, pris une profonde inspiration, uniquement focalisée sur mes sens. Le bout de mes doigts était gelé. Je sentais l'odeur de la peinture qui couvrait les murs, voyais le noir de mes cheveux sur mes épaules. L'air était légèrement humide. L'angoisse me reprit à la gorge, m'étouffant presque autant que le chiffon mouillé. Je serrai les dents, m'obligeai à ne pas y penser. À ne pas penser.

La douleur n'était qu'une illusion. C'était ça, la morale. La douleur était illusion, et la terreur était éphémère. J'avais tenu le waterboarding, je pourrais tenir tout le reste. Leur but était seulement de me faire croire que je mourais, pas de me tuer. Morte, je ne leur servais à rien.

Mais le moindre souvenir ravivait l'angoisse, les battements de cœur erratiques et l'impression de suffocation, comprimait ma poitrine et obstruait ma trachée. Si je voulais survivre, ne pas plonger dans l'abysse de la folie, je n'avais pas le droit de me souvenir.

Je me forçai à faire le vide, me focalisai uniquement sur trois choses. Une voix, un visage, un parfum. J'occultai tout le reste. Ekrest était ma seule ancre. Ironiquement, la seule personne qui me permettait de rester fidèle à mes valeurs et de ne pas perdre les pédales était morte. Mais sa mémoire vivait encore, heureusement pour moi.

L'odeur fut la plus simple à retrouver. Cet effluve âcre de fauve, de menace contenue. Je m'y raccrochai, tenace, jusqu'à entendre à nouveaux sa voix. Le mantra qu'il me serinait, encore et encore. Leur boulot, c'est d'essayer de te faire croire que tu meurs. Les ombres troubles de son visage se dessinèrent dans ma tête, se précisèrent, jusqu'à ce que chaque ligne soit dessinée clairement. Ton boulot, c'est de ne pas les croire.

À ce moment-là seulement, je revins à la réalité. Elisabeth m'observait toujours, attendait probablement une réponse. Je secouai la tête, l'esprit ailleurs, à peine touchée pour une fois par la sincère sympathie qui émanait de son attitude. J'avais besoin d'être seule. Réellement seule.

— Mal ? essaya-t-elle.

Je secouai encore la tête. Plus vivement, cette fois.

— Bien ?

Il y avait comme du sarcasme dans sa voix douce. Elle ne voyait pas, n'avait aucune idée.

Je roulai des yeux, décidée à me taire. Je voulais juste qu'elle sorte. Et qu'elle le comprenne par elle-même. Je me sentais trop fatiguée pour le lui expliquer en termes clairs. Ma gorge était douloureuse, étrangement desséchée.

Mais, sans doute poussée par le devoir, la fille d'Eir s'acharna, commença à parler dans le vide.

— Tu dois probablement avoir mal à la tête. J'ai entendu dire que tu as perdu connaissance au bout d'une demi-heure. Apparemment, c'est un record.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant