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Le silence régnait depuis des heures, mais je ne dormais pas. Compliqué, avec les veilleuses si proches, et les mots de Vanessa – biaisés par la présence de ses geôliers – qui résonnaient dans mon crâne. Paupières closes et pieds enroulés dans la fine couverture, frissonnante dans la fraîcheur de la prison, je ruminais envers et contre tout ses paroles. Elle avait raison, d'une certaine manière, en disant que si je n'avais aucune raison de ne pas collaborer, rien ne m'empêchait de le faire dès maintenant. Ce serait renier des semaines de mutisme forcé, de coups et de souffrances, des années de loyauté inconditionnelle envers les miens, mais ça me simplifierait la vie.

Sauf qu'Ekrest détestait les solutions de facilité. Le simple fait de l'envisager m'aurait valu l'un de ses regards qui disaient « oublie tout de suite la bêtise que tu viens de dire » et qui signifiaient qu'il fermerait les yeux dessus une fois. Pas plus.

Dans ces longues minutes de silence, je réalisais encore une fois à quel point il me manquait. Il n'était plus, et malgré cela, il demeurait mon seul et unique point d'ancrage. Son ombre flottait constamment autour de moi, me hantait au quotidien, veillait sur moi et surveillait chacun de mes mouvements. J'avais l'impression perpétuelle qu'il me voyait, m'observait, m'évaluait, comme il l'avait toujours fait.

Au bout du compte, j'avais beau avoir laissé partir cette barque à la mer et y avoir mis le feu, je n'arrivais pas à me détacher de lui. Ça en devenait maladif, mais c'était une maladie dans laquelle j'étais prête à me complaire.

Et puis, au fond, même si je décidais de collaborer, qu'est-ce que cela changerait ? Cela faisait bien un mois, au jugé, que je croupissais ici, et la Confrérie ne semblait pas avoir entamé de négociations en ma faveur. Le délai règlementaire de récupération des soldats capturés était d'environ deux semaines, et malgré l'environnement hostile dans lequel j'évoluais, conçu pour m'ôter toute notion du temps, j'étais certaine que cette période était largement dépassée. Collaborer ne m'offrirait pas une meilleure chance de sortir d'ici, bien au contraire. Au temps que je me taise et emporte les secrets des miens dans ma tombe.

Mes pensées oscillaient ainsi, entre Ekrest et Vanessa, parfois même Elisabeth lorsque je repensais encore à cette histoire de coniine, depuis la fin de ma discussion avec Vanessa, et j'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne voyais toujours aucun moyen de m'enfuir. Les rondes rares et la quasi absence de prisonniers dans la zone où j'étais enfermée n'aidaient pas. Le collier, les caméras de surveillance et les verrous digitaux des cellules, encore moins.

J'étais sur le point de sombrer dans le sommeil, lasse de buter toujours sur les mêmes difficultés, lorsque j'entendis les pas. Intriguée, les sens soudain en alerte, je me retournai sur le dos, fermai les yeux.

Deux hommes, si je ne me trompais pas. Ils se déplaçaient tranquillement, avec aisance, sans chercher à atténuer le bruit de leurs semelles qui résonnaient dans les couloirs. Des gardes ? Il n'y en avait qu'un seul qui était censé faire sa ronde à cette heure-ci, et il était déjà passé.

Aux abords de ma cellule, ils s'arrêtèrent brusquement. En percevant leurs respirations stables, qui remplaçaient le bruit de leurs semelles et se répercutaient dans ma cellule, je devinai qu'ils étaient tournés vers moi. Figée, aussi détendue que si je dormais, j'essayai de déterminer les carrures de chacun des deux en me basant sur leurs souffles. Mon cœur tambourinait étrangement fort dans ma poitrine. Pour une fois, la paroi isolante ma cellule n'avait pas été activée. Erreur réelle... ou volontaire ? Mes crises de nerfs s'étaient certes espacées depuis le waterboarding, mais les cauchemars me hantaient toujours.

— Donc vous n'allez pas accepter son deal ?

Voix chantante, grave mais féminine, voilée. Je l'associai sans mal au visage d'une métisse blonde, dans le quatuor de mes matons attitrés, même si je ne la connaissais pas vraiment. En fait, je ne m'étais jamais vraiment préoccupée de ces quatre-là, parce qu'à part me menotter et, à l'occasion, me frapper, ils ne faisaient pas grand-chose.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant