| 29 † 3 |

43 9 6
                                    

À cause de l'alarme, je me serais attendue à ce qu'il y ait une patrouille dans chaque zone de confinement, au moins. Mais non, à part un soldat solitaire, qui se fit descendre à l'instant où il apparut dans notre champ de vision, et que je ne reconnus qu'après coup comme Daniel, les couloirs étaient totalement déserts. La pitié fit brièvement valser mon cœur, puis je poussai un soupir en abaissant le canon encore fumant. J'avais tiré par réflexe. Et je n'allais pas le regretter, je n'en avais pas le droit. Ekrest était la priorité absolue.

Ça, et comprendre les motivations de Kalyan, mais il me faudrait trouver un temps dans la ruée pour en discuter avec lui.

Pour me distraire, je jetai un coup d'œil pensif à l'armement des autres soldats de ma famille, très classique. Fusils et armes de poing, lames dissimulées dans les bottes, pilules de cyanure probablement rangées dans les pochettes avant des gilets pare-balles. Nous étions équipés comme une armée régulière, voire un groupe des forces spéciales. Parmi les trois qui nous accompagnaient, un seul, reconnaissable à ses mains libres garnies de poings américains, était magicien. Dans le périmètre de la Centrale, il serait donc absolument inutile en tant que tel, mais il était déjà en train de faire passer l'AK-47 de son dos à ses mains, en position de repos. Je souris, attristée, en voyant l'arme. Le poids familier de mon propre M16 – qui était une préférence purement personnelle par rapport à l'armement standard de la Confrérie – dans mon dos me manquait cruellement.

Une flaque de sang avait commencé à former une fine auréole autour de la tête inerte lorsque je contournai le corps d'un pas méfiant, pour m'avancer vers la cellule la plus proche. Le champ laiteux étiré entre les barreaux vibrait d'énergie magique, grésillait doucement. Je fis un signe de tête au fils de Thor, qui s'approcha en contournant le cadavre, les lèvres pincées, posa son index contre le détecteur digital sur le verrou. Une grimace lui échappa lorsque la barrière de protection s'évapora, pour dévoiler une cellule illuminée de bleu, et non de blanc.

— Protocole de confinement supplémentaire, annonça-t-il. Il faudrait que je le désactive en salle de surveillance, mais...

D'un seul mouvement fluide et fulgurant, Selvigia fit basculer son arme, qui pointait jusque là vers le couloir vide, sur la tête du blond. Même avec la visière de son casque abaissée, je n'eus pas de mal à deviner la fureur qui déformait ses traits et obscurcissait son regard. Et pour cause, la silhouette recroquevillée dans un coin de la cellule, la Loki enfermée, était son ancien mentor. La colère perçait dans sa voix robotisée lorsqu'elle demanda :

— C'est quoi cette blague ?

— Eva ?

Kirstin Hatwood, assise dans l'angle comme je l'avais moi-même été tant de fois, releva légèrement la tête, dardant son regard iridescent sur le trio que nous formions. Seul son front et ses yeux dépassaient au-dessus de ses genoux, à peine visibles dans la masse hirsute et sale de cheveux blonds cendrés.

— Ils t'ont eue aussi...? murmura-t-elle d'une voix brisée.

Les larmes déferlèrent sur ses joues en sillons scintillants dans la lumière bleutée de son alcôve, mais les commissures de ses lèvres s'étaient étirées en un sourire diabolique, qui dévoilait des dents manquantes et ses gencives noircies. Elle éclata d'un rire hystérique, entrecoupé de sanglots, qui ricochait dans les larges couloirs. Un frisson glacé descendit le long de mon échine lorsque je la vis se redresser d'un bond, s'agripper aux barreaux avec un rire de gamine.

— Et toi... t'es qui ?

La question m'était adressée, mais ça n'avait aucun sens de répondre. Elle n'était pas avec nous. Elle s'était perdue dans les limbes de la folie et de la douleur. Ses ongles paraissaient avoir été récemment arrachés, et je savais que j'avais négocié l'arrêt des mauvais traitements sur les Élites des semaines plus tôt. Ses mains tendues vers moi dévoilaient l'intérieur de ses poignets, constellé de cicatrices, déchiré en bien des endroits... et j'avais l'impression que certaines de ces marques avaient été infligées par des dents humaines. Je n'aurais pas pu le dire avec certitude, mais vu son regard détraqué, à mille lieues de notre univers, c'était possible qu'elle se les soit infligées elle-même.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant