[HS] Opium (3/3)

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Deux mois passèrent. Mes relations affectives avec Ekrest se dégradèrent, les socio-politiques se tendirent, devinrent bien plus professionnelles que amicales. Conscient de l'importance de ce qu'il avait fait, il ne chercha tout d'abord pas à renouer un semblant d'accord à l'amiable avec moi. Pour ma part, je me jetai à corps perdu dans les missions pour compenser le déficit financier de mes marchés d'opium, qui stagnaient, et ceci pour une simple et bonne raison : Adam.

Quand mon mentor avait dit que je passerais ma vie à combattre dans des batailles qui n'étaient pas les miennes, il avait en réalité – implicitement, en tout cas – affirmé à Adam que je n'étais plus sous sa protection, et ce dernier s'en donnait depuis à cœur joie. Le marché n'était absolument plus rentable, parce que je devais investir une véritable fortune simplement pour protéger le produit jusqu'à la seconde où il était vendu. Les raids sur mes convois se multipliaient, ce qui requérait une sécurité doublée, voire triplée, ainsi que des mesures technologiques extrêmes, qui me permettaient certes de garder le produit, mais me coûtaient littéralement plus que le commerce ne me rapportait.

Un jour, alors que mes intermédiaires me rapportaient une énième attaque aux fléchettes paralysantes, subie le matin même, je décidai de changer encore une fois ma manière d'aborder le problème. J'avais tenté d'être offensive, défensive, ou même passive, mais au bout du compte, rien ne pouvait surclasser l'expérience et la domination d'Adam sur le terrain. Comme je n'avais plus l'appui d'Ekrest, j'avais perdu en ressources humaines, et je ne pouvais pas mener tous les combats de front. Les hommes que j'avais m'étaient loyaux, c'était une certitude, mais ils se faisaient surpasser en nombre, et comme Adam avait en plus l'expérience de ce genre de guérillas semi-pacifiques – dans la mesure où on ne tuait personne de la famille, s'entendait – il demeurait en tête.

Et, évidemment, comme je n'étais pas à même d'assurer ma propre sécurité, je ne gagnais pas en influence dans le Manoir. Mon économie était plombée, ma politique aussi. Revenir vers Ekrest signifiait montrer sa faiblesse, se faire soutenir par Selvigia requérait des fonds astronomiques, et se défendre seule ne me permettait pas de faire le poids, même si l'honneur était sauf.

Mais ça faisait quelques jours que, entre Adam et Ekrest, c'était devenu tendu aussi. Ça ne me changeait pas des problèmes habituels, en vérité, mais pour une fois, il y avait une occasion à saisir. Adam semblait rechercher un certain type de CHR, des contrats plutôt bien payés dans le monde humain, et Ekrest lui en avait chipés trois à la suite, puisqu'il avait toujours la priorité sur ce genre d'opérations. Même s'il savait pertinemment que le Kaiser les voulait aussi, il les avait pris malgré tout.

Il m'en avait cédé un seul, particulièrement bien payé, par courtoisie, en guise de rétribution pour un service que je lui avais rendu une semaine plus tôt. Sauf qu'il allait falloir que je le cède. Enfin... si Adam le voulait. Mais j'étais certaine que c'était le cas, il avait mis des réservations sur tous les contrats de même type durant les trois derniers jours, et il n'en avait eu aucun. Son dépit, ainsi que sa colère à l'égard d'Ekrest, irradiaient de lui à chaque fois que je le voyais.

Je pris finalement la décision d'aller le voir devant témoins afin de résoudre tout ça avec lui. Le faire en public m'assurerait un peu de publicité positive, et, s'il acceptait, ça permettrait en outre de remonter un peu ma cote sociale, qui traînait du pied en ce moment... justement à cause de lui, mais tant pis. La fin justifiait les moyens.

Ainsi, un matin, en arrivant à la cafétéria et en le voyant assis avec ses hommes, en train de discuter tranquillement, je vins m'incruster à leur table. Un silence de mort tomba sur les tables aux alentours alors que je m'asseyais sur l'unique chaise encore libre, et Adam leva vers moi un regard meurtrier. Il m'adressa un sourire faux, qui ne dissimulait pas une once de la haine dans ses yeux turquoise. Crispés ainsi, ses traits ressemblaient à ceux d'un serpent prêt à mordre ; je savais qu'il pouvait paraître beaucoup plus sympathique quand il le voulait vraiment, mais aujourd'hui, il avait décidé de ne même pas tenter le coup. Et je connaissais probablement la cause de sa colère : la veille, il avait vu la réservation de la mission passer d'Ekrest à moi.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant