[HS] Opium (2/3)

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Comme convenu avec les commanditaires, l'homme mourut sans avoir pu délivrer les informations qu'il souhaitait transmettre, mais après nous avoir menés à son contact, qui fut prestement embarqué à la Confrérie. Quant aux trois gardes du corps qui étaient censés protéger le fameux contact, ils firent un plongeon définitif dans les eaux glacées de l'Hudson – quelle idée de se donner rendez-vous au port, aussi – avec la face, les doigts et les gencives si atrocement brûlés que même si on récupérait un jour les cadavres – ce dont je doutais – personne ne pourrait les identifier. Après avoir couvert nos traces, Ekrest et moi rentrâmes tranquillement au Manoir, et, tandis que lui filait régler des problèmes administratifs, je me lançai sur les traces de mon opium.

Raphael Telvar s'était focalisé sur la taupe dans mes rangs, mais il n'avait, malgré les heures écoulées, abouti à rien pour le moment. Aucun de mes hommes n'avait de lien apparent, ni officieux, avec Adam, et les rares personnes aux antécédents ambigus avaient en général bossé pour Selvigia avant d'entrer à mon service. Que ma sœur ait vendu l'info n'était pas non plus à exclure, mais ça me paraissait peu probable, vu la politique de neutralité qu'elle adoptait généralement pour se protéger.

Karen de son côté avait lancé un petit groupe d'amis proches sur les traces des caisses, et avait fini par retrouver une partie de la cargaison, cachée dans un petit bureau du deuxième étage attribué, selon les registres, à un certain Tiago Vélasquez. Efficace, comme à son habitude, elle ne m'avait pas attendue pour la mettre en sécurité dans un petit entrepôt dont je lui avais donné les coordonnées. Maintenant, toujours avec ce petit groupe – qui était en fait composé de mes anciens compagnons de dortoir – nous étions invisibles, plaqués contre le mur du couloir qui menait à la chambre de Vélasquez, attendant de voir qui allait pointer le bout de son nez pour venir chercher l'opium.

Ce fut finalement un trio à l'allure méfiante qui se dirigea vers le bureau et en ouvrit la porte. Parmi eux, aucun ne correspondait à la photo de Vélasquez tel qu'il était référencé dans l'annuaire du Manoir, mais je n'excluais pas qu'il utilise temporairement une apparence différente pour se protéger. Il n'était probablement qu'un intermédiaire, mais ceux-ci étaient en général prudents.

Avant qu'ils n'aient le temps d'ouvrir la porte, je dissipai mon bouclier d'invisibilité, et plaquai l'homme à la tête du trio contre le battant. À mes côtés, Karen fit une affreuse clé de bras au type devant elle, tout comme Elisa, une métisse à la peau olive et aux cheveux frisés. Quant aux jumeaux Erle et Tollak Svaalin, ils se postèrent en faction d'un côté et de l'autre du couloir, et dressèrent une illusion rapide pour faire croire qu'il ne se passait rien.

— Ton nom, sifflai-je.

L'homme se figea en entendant le son de ma voix, un frisson courut le long de son échine. Le lourd parfum de son Eau de Cologne affleura à mes narines, embrumant mes idées ; je secouai la tête pour m'éclaircir l'esprit.

— E-Ev-Everett... Uldran..., bégaya-t-il, sous le choc.

— Et à qui allais-tu apporter ce que tu es venu chercher ?

Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il devina ce qui se passait.

— Si c'est ton opium, je te jure que je le savais pas, je ne...

Je lui cognai légèrement le front contre la porte, surveillant ses mains. Il se tut.

— À qui ? répéai-je, doucereuse mais excédée.

— Je ne sais pas, on m'a dit de l'apporter à TOK dans une demi-heure en m'indiquant le lieu où on l'avait stocké, je te jure que...

Un soupir m'échappa.

— Et tu connais bien Vélasquez ?

Il s'interrompit dans sa litanie d'excuses, réfléchit quelques instants.

— Il bosse pour Adam, comme moi, mais on se parle rarement.

Évidemment, songeai-je avec une grimace sceptique. Il faudrait que je pose la question au concerné moi-même, clairement, parce que j'avais des doutes sur la sincérité d'Uldran.

— Très bien.

Je le relâchai, reculai, sans baisser ma garde. Surpris, il demeura quelques secondes collé au mur contre lequel je l'avais épinglé, puis pivota vers moi. Face à son expression nerveuse, ma grimace se mua en un sourire, et je fis un signe aux jumeaux Svaalin.

— Ils vont venir avec toi « livrer » l'opium. Évidemment, c'est un piège pour quiconque va le réceptionner, et évidemment, si tu caftes, tu risques les ennuis, mais c'est à toi de faire ton choix. Je peux me montrer généreuse.

Uldran me considéra, méfiant, incapable de comprendre pourquoi je lui disais les choses aussi ouvertement. Mais j'avais réalisé, depuis le temps, que prévenir les potentiels otages de leur rôle les incitait bien souvent à se tenir à carreau, d'autant plus qu'ils étaient en général solidement encadrés. Actuellement, avec Erle et Tollak qui s'approchaient des deux autres types pour prendre leurs apparences respectives – malgré le règlement intérieur du Manoir qui l'interdisait – il n'avait aucune chance de bien s'en sortir s'il faisait foirer mon plan.

Il finit par hocher la tête, ayant enfin résolu l'équation dans sa tête. Avouer qu'il était suivi impliquait de se faire muter en balayeur de locaux au Malawi. Se taire garantissait une rétribution conséquente... mais impliquait éventuellement de devoir changer de camp sur le long terme pour ne pas se faire massacrer par le parti d'Adam. Dilemme cornélien, dont il était le seul à pouvoir trouver la bonne solution. Mais je ne m'inquiétais pas trop, il m'avait l'air assez intelligent pour la trouver, quelle qu'elle soit. Et moi, je m'adapterais à son choix.

Les jumeaux Svaalin, qui avaient pris l'apparence des deux comparses d'Uldran, l'encadrèrent, lui donnèrent deux boîtes vides, mais qui paraissaient assez lourdes, et je les laissai s'en-aller. Ensuite, avec mes empreintes digitales, qui me garantissaient un accès à tous les bureaux, excepté celui de Kaiser, je m'introduisis dans l'office de Vélasquez, et m'installai, avec Elisa, Karen et les deux larbins d'Uldran sous bonne garde, en attendant le locataire de la pièce.

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Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant