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Jusqu'au retour, nous n'abordâmes plus de sujets qui fâchaient. Après quelques minutes de silence glacé et désagréable – chose que je n'avais encore jamais connue avec Selvie – nous nous étions mises à courir, avions fait une petite heure de tout terrain, et étions revenues au Manoir, qui émergeait lentement de sa magistrale cuite de la veille. Selvigia me lâcha aux abords du secrétariat, fit un bref crochet par la cafétéria, et revint avec un panier de croissants en main, et Adam sur les talons. Tous les deux, ils s'installèrent face à moi dans la pièce exiguë dont la fenêtre donnait sur l'entrée du Manoir.

— Qu'est-ce que vous fichiez dehors à cette heure-ci ? demanda Adam, décidément trop curieux.

— On courait, répliquai-je du tac au tac. On ne gonfle pas nos muscles par magie, contrairement à toi.

Mouché, il ferma son clapet, et j'étouffai un ricanement narquois. Pour être franche, je ne l'avais jamais vu sur un tapis de course. Par métamorphose, il pouvait prendre n'importe quelle apparence, et même s'il était resté allongé dans son lit durant un mois, il aurait pu parader avec le corps d'un athlète de haut niveau.

Je me calai un peu plus confortablement sur la chaise de bureau derrière l'ordinateur, entrai mes identifiants, puis consultai les registres jusqu'à trouver qui était censé s'occuper du secrétariat aujourd'hui. C'était une certaine Sylvia qui, si mes souvenirs étaient bons, bossait comme indic' pour Selvie. Je lui envoyai un bref message pour lui dire de rester tranquillement au lit ce matin, puis commençai à parcourir le calendrier de la Confrérie, à la recherche des évènements du jour. Kaiser n'avait pas eu tort en m'assignant ici, c'était un travail long et rébarbatif, une juste punition pour quelqu'un qui détestait la paperasse. Mais, avec les deux autres Élites assis en face de moi, déjà en train de se chamailler, j'avais de bonnes distractions, Loki en soit remercié.

Bien vite cependant, le téléphone sonna, et je dus décrocher de la conversation passionnante qui se déroulait en face de moi, pour me concentrer sur un intermédiaire humain à l'anglais méchamment accentué, qui se plaignait de retards sur les commandes. Écoutant d'une oreille distraite sa litanie de lamentations, je commençai à pianoter sur l'ordinateur, à la recherche de ladite commande.

— Mais tu ne veux pas arrêter, oui ? pestait Selvigia en arrière plan. Il y avait une Frigg, je n'ai rien pu faire !s Elle sentait notre aura à trois kilomètres, et les Heimdall ont rappliqué en deux secondes !s

Je haussai un sourcil interrogateur, mais Adam ne m'adressa pas un regard. Son ton bas, virulent et agressif, me donna la chair de poule.

— Et alors ? Tu aurais pu la protéger, non ?

— Tu n'avais qu'à être là aussi, si tu tenais tellement à elle ! cingla ma sœur.

Blême, notre demi-frère se recula sur sa chaise. Ses yeux turquoise brûlaient d'une soudaine rancœur si intense et profonde que je décrochai quelques secondes de la conversation que je tentais d'entretenir avec mon interlocuteur australien. Ce fut seulement lorsqu'il me rappela à l'ordre en me demandant si je l'entendais que je me repris.

— Mmhm, écoutez, marmottai-je à haute voix, je vais appeler à Madrid, voir si on peut raccourcir les délais la prochaine fois, ça les convaincra peut-être d'être à l'heure.

Mon interlocuteur, le gérant d'une filiale humaine quelconque, pesta encore pour la forme, mais accepta que je le rappelle. Je raccrochai après une dernière salutation polie, poussai un soupir ennuyé.

— Dis, tu ne veux pas te reconvertir en secrétaire, par hasard ? Après tout, tu m'as l'air d'être une véritable pro dans ce domaine...

Adam me singeait, se fichait de moi, mais je voyais qu'il n'avait pas totalement digéré ce que Selvigia venait de lui balancer. Je roulai des yeux, lèvres pincées.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant