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Lorsque je tournai à l'angle, je m'immobilisai un instant, le cœur battant. Une rangée de canons et de visages casqués me surveillaient, guettant le moindre geste brusque. Mais ce n'étaient pas des Thor. C'étaient les miens. Certains saignaient, comme je ne tardai pas à le remarquer, d'autres avaient des vêtements carbonisés ou déchirés. Je me mordis l'intérieur des joues en voyant les quelques corps maculés d'écarlate qui gisaient, inertes, parfois dans au milieu du couloir, parfois dans les cellules un peu plus loin, celles dont les champs de protection avaient été abaissés. Les Thor avaient cherché à éliminer les potentiels fuyards, en plus de tenter d'abattre ma fratrie.

Derrière moi, Kalyan s'immobilisa un instant, hésitant. Puis, voyant que personne ne semblait esquisser de geste agressif à son intention, il s'avança à pas mesurés en direction des cellules pour les ouvrir.

Un à un, les visages sortirent dans le couloir, ravagés par les acides ou lacérés de cicatrices, leurs iris colorés scintillants aux couleurs des Maisons vanir. Ils étaient peu nombreux à avoir survécu au massacre précipité des Thor, et leurs sourires joyeux se disputaient avec les grimaces méfiantes de doutes et espoirs mêlés qu'ils témoignaient aux soldats de la Confrérie qui surveillaient la scène. Parmi la dizaine, cependant, une seule personne retint mon attention. Menton fin caché par une barbe bouclée, nez droit, sourcils épais et broussailleux, traits tirés mais illuminés par un sourire jubilatoire. Je me mordis les lèvres, tergiversai un bref instant. Puis, la décision s'imposa.

Je bondis dans les bras d'Ekrest, le cœur battant à tout rompre, des larmes de pur bonheur dévalant mes joues alors que ses bras se refermaient autour de moi et que son odeur fauve m'enveloppait. Ainsi accrochée à lui, je parvins un bref instant à oublier Vanessa, les trahisons, les souffrances endurées. Dans ses bras, j'aurais pu ignorer la bataille du Ragnarök si elle s'était déroulée à côté de moi.

— Ce n'est franchement pas l'endroit... murmura-t-il, malgré le sourire qui transparaissait dans son ton.

— Rien à cirer, rétorquai-je d'une voix grincheuse, légèrement chevrotante. Comment tu vas ?

Il voulut reculer, probablement me morigéner pour mes réactions enfantines, mais je ne lui laissai pas le loisir de se dégager. Je pressai mon front contre son cou, l'enserrai dans une étreinte si ferme qu'elle en devenait douloureuse pour mes côtes endolories, et il relâcha un soupir soulagé.

— Mieux.

À ce stade, je ne savais plus vraiment lequel de nous deux berçait l'autre. La douceur de son ton contrastait avec la solide prise dans laquelle il m'avait enveloppée, et cette fois, c'était moi qui n'aurais pas pu me dégager, même si je l'avais voulu. De toute façon, je ne le voulais pas. J'étais si bien dans cette étreinte protectrice et rassurante que j'aurais aimé ne jamais la quitter. Les Thor dont je percevais la présence non loin n'importaient plus, les Neuf Mondes n'importaient plus. Même si l'horreur de cette dernière heure me reviendrait bientôt en pleine figure, elle en valait la peine, pour ces dix secondes de calme et de sérénité.

— Maintenant, je vous attends.

Je tressaillis, enfonçai instinctivement mes doigts dans les épaules d'Ekrest, sentis ses propres ongles qui labouraient mes hanches. C'était la voix. Doucereuse, serpentine, hypnotique. Un frisson collectif échappa aux anciens Élites. Je reculai d'un pas, jetai un regard stupéfait autour de moi. Ils semblaient l'avoir tous entendue.

Brutalement, l'espace d'un battement de paupières, mon rêve me revint. La haute falaise en bord de mer, le parfum d'iode, le hurlement des vagues qui se brisaient sur les rochers, des dizaines de mètres plus bas. Une fois que tu les auras trouvés et que vous serez sortis de prison, je veux que vous veniez me libérer. Nous avons déjà trop tardé. Les paroles de mon père, mot pour mot. Tu te souviendras de tout au moment opportun. Je me mordis les lèvres. La présence confuse de la voix s'était déjà dissipée, mais ses échos demeuraient, menaçants, sibyllins. Et, au vu de l'expression tendue des anciens Élites, ils en savaient quelque chose.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant