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Le reste de la journée s'écoula sans incident notable, à part quelques cris dans les couloirs, une douche glacée que j'estimai avoir peut-être méritée, même si je ne l'aurais admis pour rien au monde, et quelques grincements de dents suite à un problème de livraison d'opium, un marché intérieur du Manoir que je dominais depuis maintenant quatre ans. Les petites guérillas intestines étaient monnaie courante, dans l'immense bâtisse de pierre. Comme la famille se scindait en un système vaguement féodal, avec en général les meilleurs du classement à la tête des différentes factions, il y avait toujours un conflit d'intérêt quelque part. Parfois, il se réglait par marchandages, négociations et pactes, mais parfois, lorsque les plus grands étaient impliqués, nous nous affrontions avec des armes.

Évidemment, pour ne pas pénaliser notre famille, et pour donner aux batailles un côté réaliste, nous adaptions dans ces combats nos armes pour ne pas nous blesser réellement. Ça se transformait en parties d'airsoftdef géantes, à la différence que les billes étaient en général enchantées de manière à provoquer une vive douleur, comparable à celle d'une balle réelle, qui incapacitant temporairement la personne. Une seule bille dans la poitrine donnait l'impression de se vider de son sang, et un coup à la tête plongeait dans l'inconscience pour une bonne demi-heure, parfois plus.

Dans ces conditions, livrer des marchandises nécessitait de bons équipements et des troupes entraînées, et heureusement pour moi, en quatre années, j'avais eu le temps de me monter ma propre petite armée, et de l'armer correctement. De plus, ayant récemment récupéré une bonne partie des effectifs d'Ekrest, je me retrouvais maintenant la plus puissante, tant au niveau magique qu'au niveau social. Ceci dit, ça n'avait pas empêché le nouvel Élu de fourrer son nez dans mes affaires dès qu'il en avait eu l'occasion, et clairement, j'avais intérêt à protéger mes prochaines cargaisons avec le maximum d'effectifs.

La haine tenace logée dans mon cœur, qui motivait chaque calcul, chaque nouvelle alliance, m'obligea, très brièvement, à me poser une question existentielle : qui détestais-je le plus, à l'heure actuelle, Levi, ou ce Kalyan ?

La réponse ne tarda pas. Le second, je ne le connaissais pas, il n'avait rien fait d'autre qu'exécuter une mission. Même si sa mission était la mise à mort de mon mentor. Alors que le premier...

— On y va ?

La voix, mesurée mais narquoise, me tira de mes pensées. Pour garder une confortable avance sur tout le monde, et m'assurer de l'efficacité des troupes que j'envoyais au front, j'avais pris le lendemain de ma journée au secrétariat pour m'entraîner avec le petit groupe qui m'avait accompagnée dans la chasse à la tireuse Thor qui avait bien failli me tuer. Et, comme Selvigia m'avait demandé de se joindre à moi avec son propre groupe pour coordonner d'éventuelles opérations conjointes, nous nous retrouvions ici, à six heures du matin dans l'immense arène à ciel ouvert à l'arrière du Manoir, sous un ciel gris pâle à peine illuminé par le début d'une aurore septentrionale.

Nos hommes étaient tous déjà là, alignés en rangs serrés, armés et équipés comme s'ils partaient en mission. Une trentaine de têtes, que je connaissais vaguement pour les avoir tous déjà vus au moins une fois dans mon existence puisqu'ils avaient bossé pour Ekrest. Ils étaient immobiles, les pieds plantés dans sable, muets et stoïques, et nous fixaient avec attention. Je savais, pour les avoir vus un quart d'heure plus tôt, qu'ils étaient déjà échauffés.

— Divisez-vous, intimai-je.

Mes seize hommes partirent d'un côté, les douze de ma sœur de l'autre. Selvigia me consulta du regard, interrogatrice. J'avais spontanément pris le commandement puisque, dans la hiérarchie, j'étais désormais la plus haute commandante militaire, Kaiser exclue.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant