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Nous progressions en silence, d'un pas assuré. Malgré les nombreux embranchements, bifurcations, croisements et nœuds par lesquels le Labyrinthe nous menait, nous savions toujours plus ou moins où nous allions. Les chemins avaient beau changer régulièrement, certaines configurations réapparaissaient souvent. Aujourd'hui était l'une de celles que Selvigia connaissait le mieux, aussi était-elle celle qui menait. Elle marchait vite, plongée dans ses pensées, ses cheveux bruns voletant autour de ses épaules, seulement éclairée par la petite flamme qu'elle semblait tenir entre ses mains.

Malgré l'oppression des hauts murs qui ne laissaient qu'entrevoir le gris du ciel, et l'obscurité qui régnait autour de nous, je me permis une ombre de sourire. Selvigia était l'une des rares avec qui Ekrest me laissait vadrouiller, petite. Il n'avait jamais fait confiance à quiconque d'autre pour me surveiller. Ainsi, j'avais une quantité impressionnante de souvenirs d'heures passées avec elle dans le dédale de verdure. Gamine, c'étaient des parties de cache-cache géantes. Adolescente, des courses contre-la-montre et des énigmes à résoudre. À chaque fois, ça se terminait par des démonstrations magiques, que ce soit la métamorphose, la manipulation d'énergie ou la pyrokinésie.

Une fois, j'avais mis le feu accidentellement à la bordure est. Le temps que les flammes meurent, un tiers du dédale avait brûlé. Kaiser s'était tout juste abstenue de m'étriper, mais comme les murs s'étaient reformés dès le lendemain, elle m'avait pardonnée. Enfin, presque. J'avais été de corvée de nettoyage des prisons pendant deux semaines. Une horreur.

— Il m'a vraiment demandé de sortir avec lui ?

Perdue dans mes pensées, je mis un moment à réaliser que Selvie s'adressait à moi. Et qu'elle attendait une réponse, malgré la sonorité rhétorique de sa question.

— Est-ce que tu aurais pu l'envisager ?

Elle rejeta une mèche de cheveux en arrière en soupirant, leva la tête vers la fine tranche de ciel qui nous surplombait.

— C'est un arriviste insupportable. Il l'était déjà avant de tuer Gimöd. Donc non. Tu savais qu'il comptait me demander ça ?

Je me mordis les lèvres, partagée entre honte et agacement envers moi-même. N'entendant que mon silence, Selvigia s'arrêta, se retourna.

Ce n'était pas une boule de feu dans le creux de sa paume qui l'éclairait. C'étaient ses mains entières qui étaient entourées d'un halo rougeâtre. Les flammes dansaient autour de ses doigts, s'enroulaient autour de ses poignets, virevoltaient, comme animées d'une vie propre. Je cillai, impressionnée, presque effrayée par l'intensité de son regard iridescent qui reflétait la lumière des flammes.

— Oui, admis-je finalement. Et je suis désolée. Je ne savais pas que c'était Levi qui...

Elle sourit, claqua des doigts juste sous mon nez. Des étincelles volèrent, et je me tus.

— Tu ne pouvais pas savoir. Tu avais... quoi, douze ans ?

— Sept.

— Pareil. Tu n'avais même pas accès aux dossiers classiques, non ?

— Ça dépendait du dossier, admis-je en fronçant le nez.

— Voilà. Tu ne savais pas.

Elle écarta les bras pour un câlin. Je ne bougeai pas, regard fiché sur ses mains incandescentes. Elle baissa les yeux, curieuse, puis éclata de rire, et fit disparaître les flammes. Alors seulement, j'avançai, la serrai dans mes bras, heureuse de voir qu'elle ne m'en voulait pas.

Trompe l'œil. À l'instant où elle m'eut attrapée, sa main gauche se referma autour de ma nuque, dangereusement brûlante. Je fus parcourue d'un frisson d'appréhension, agrippai par réflexe ses cheveux, mais elle parut n'en avoir cure.

Le Cycle du Serpent [I] : La Confrérie de LokiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant