10/ Le magistère

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Arrivés au château je m'étais retrouvée nez-à-nez avec ma mère qui s'énervait contre tout et tout le monde sans aucune distinction. Son visage froid avait pris une couleur pourpre presque improbable et ses yeux habituellement ambrés avaient ternis d'anxiété. Je n'avais jamais vu ma mère dans un tel état mais c'était très vraisemblablement le fait que Torino venait avec son épouse, Velvet. Cette femme était gracieuse. Une perle de la société qui avait retransmit son savoir et son amour pour l'esprit à ma chère amie Méroé, présentement sa fille. J'avais une ou deux fois fait le voyage jusque dans le Sud pour séjourner au Palais de la famille lorsque des grands savants s'étaient déplacés pour donner ce que l'on appelait une missive. Méroé et moi avions assistée chaque jour aux longues discutions éclairés qui nous comblaient de bonheur. Bien que j'eusse le numéro de téléphone de la jeune femme, je ne l'appelais jamais car j'abhorrais ces correspondances brèves dénuées de véritable contact humain. Oui, je sais que venant de moi c'était étonnant.

-Noahlia de Primvaley ! S'exclama la Reine furieuse en me voyant rentrer dans le château débraillée et escortée par Atlas et la Garde Royale. Qu'as-tu encore fait ? Je te préviens que si je me retrouve morte de honte devant les Paladini par ta faute, je te hanterais jusqu'à la fin de ton existence.

-Ne vous ennuyez pas, Mère. Vous n'avez sans doute pas besoin de mon aide pour vous rendre honteuse, fis-je sèchement en faisant allusion aux bigoudis qui pendaient vulgairement dans ses cheveux.

Atlas se racla la gorge, terriblement mal-à-l'aise. Je pouvais bien le comprendre. Il n'était pas le fils légitime de Luavina et une attaque comme celle que je venais de faire lui aurait sûrement coûté bien plus qu'à moi.

-Voyez-vous, ma fille, grinça-t-elle de ses lèvres pincées en s'approchant de moi, je m'étonne que ce Prince si courtois ait accepté la proposition de votre Père. Je regrette de ne pas avoir eu mon mot à dire, car sinon, vous vous seriez retrouvée fiancé à un paysan ! Maintenant, hors de ma vue, jeune fille !

La main d'Atlas s'est enroulée autour de mon poignet alors que ma Mère partait de son côté en hurlant un ordre à une servante terrifiée. Je suis restée béate alors que mon frère m'entraînait vers mes appartements en silence. Il avait fait signe à ses hommes de retourner dans le centre de la Garde Royale. Je ne vis pas tout de suite Gimel qui courait à ma rencontre en criant mon prénom de sa petite voix. Son visage doux m'a tiré de mon incrédulité et je repris connexion avec la réalité pour m'agenouiller en face de mon petit frère. Il avait les yeux rieurs de mon Père et les lèvres teintées de rose.

-Bonjour Gimel, souris-je en le prenant dans mes bras alors qu'il enroulait les siens autour de mon cou.

-Tu m'as manqué No !

-"Manqué" ? Mais on ne s'est pas moins vu que de coutume, lui fis-je remarquer pendant qu'Atlas restait silencieux à côté de moi.

Il était vrai que je pouvais parfois m'enfermer à la bibliothèque plusieurs jours sans descendre manger ni même prendre des nouvelles de ma famille mais je prenais toujours le temps, dans ces rares cas, d'aller conter une histoire à mon cadet qui en raffolait. Je m'excusais alors auprès de lui avant de me remettre debout. Je détestais faire de la peine à Gimel qui était un ange dans ce monde de manipulateur.

-Tu n'es plus avec Carmilla ? Demanda soudainement Atlas en fronçant les sourcils.

Le petit secoua vivement la tête en décoiffant sa chevelure blonde.

-Non, dit-il simplement.

-Non ? Répéta Altas avec méfiance.

Gimel n'avait que cinq ans, et bien qu'il fût très intelligent pour un enfant de son âge, il n'avait pas le droit de se balader seul dans les couloirs du château. Il le savait pertinemment mais prenait un plaisir fou à faire tourner en rond ses nourrices ou Carmilla quand cette dernière était chargée de s'en occuper. Le pauvre était trimballé de cours en cours et de leçons en leçons sans interruption de la journée, et ça tous les jours de la semaine. Je me devais alors parfois de faire quelque chose pour lui et les récents événements me poussèrent à décider qu'aujourd'hui serait son jour.

VidyutaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant