Prologue
Izaya avait toujours plus ou moins souffert d'insomnies répétitives. Ce n'était rien de grave ou d'important, mais il était plus que conscient que son sommeil était bien trop aléatoire pour être parfaitement sain. Souvent, bien trop à son goût, il se réveillait alors que la lune était encore haute dans le ciel – brillante au milieu du ciel d'encre débarrassé de ses étoiles – en parfaite possession de ses moyens, d'ores et déjà reposé après seulement quelques heures passées dans son lit. Il finissait par se lever afin d'aller se chercher un verre d'eau à la cuisine, vérifiant par la même occasion que ses sœurs dormaient belles et bien dans leur lit, puis retournait finalement à sa chambre en silence.
Parfois, il passait quelques dizaines de minutes de plus devant sa fenêtre, les yeux dans le vague, observant distraitement les passants en contre-bas. Le brun aimait bien observer, regarder en silence, attendre ; il était plutôt doué lorsqu'il s'agissait d'étudier les autres. Il faisait attention aux détails que les autres négligeaient – ils étaient trop pressés, trop aveugles – et en tirait les conclusions qui s'imposaient. Lorsque son père avait commencé à tromper sa mère avec une femme – qui possédait cinq ans de plus que lui –, Izaya l'avait su. Immédiatement. Il n'avait jamais rien dit.
Les lumières de la ville ne se tarissaient jamais ; même la nuit, elles illuminaient les rues de leurs teintes colorées – les ruelles sans lumière étaient celles qu'il fallait éviter, c'était une vérité qui avait été démontrée à de nombreuses reprises. Jamais la ville ne s'endormait ; il y avait toujours quelque part un magasin ou un bar d'ouvert, une personne explorant les allées et les rues avec une curiosité compréhensible, et Izaya aimait bien écouter toute cette agitation ; sirènes, cris, musique, vacarme incessant des camions poubelles – pour lui, la ville était une entité à part entière, et chacun de ses gestes était intéressant et difficile à prévoir. La voir, la sentir toute entière l'apaisait, le calmait.
Izaya avait toujours été un enfant solitaire. Il aimait les activités calmes, celles qui ne demandaient pas trop d'efforts physiques et où il pouvait faire appel à sa réflexion, ou tout simplement se perdre des heures dans ses pensées. Dès son plus jeune âge, son père avait insisté – entendre par là qu'il ne lui avait clairement laissé aucun choix – pour qu'il prenne des cours de piano, le seul instrument de musique ayant un minimum d'importance aux yeux de son paternel. Il n'avait mis que peu de temps pour apprendre le solfège et avait des doigts longs et fins – encore davantage de facilités qui lui avait valu l'exaltation et l'admiration de son professeur particulier. La plupart du temps, il remarquait de lui-même que son niveau scolaire ou même ses pensées et réflexions étaient bien trop avancés – en comparaison avec les autres enfants de son âge –, et il n'avait jamais ressenti l'envie de se mêler aux foules, quelles qu'elles soient. Les seuls personnes qu'il considérait comme de réel être vivant – il entendait par là qu'il respectait leurs sentiments –, étaient ses deux sœurs jumelles de quatre ans ses cadettes. Il prenait son rôle de grand frère très au sérieux.
Cette nuit-là, une heure du matin n'était pas encore passée lorsqu'il entendit un grand bruit venant du salon. Il ne dormait pas encore, et fixait le plafond de sa chambre en somnolant et en écoutant le son des gouttes de pluie qui s'écrasaient contre la vitre de sa fenêtre. De la lumière filtrait à travers le volet roulant, illuminant la pièce par intermittence. Ce bruit le réveilla totalement. Sourd, un peu trop fort en considérant le silence de l'appartement. Précédemment, seul le tonnerre brisait ce silence presque assourdissant par moment. Ses parents étaient tous les deux présents ce soir, car ils avaient pris une semaine de vacances loin de tout voyage d'affaires, afin de s'occuper quelques instants de leurs enfants. Il avait tout d'abord supposé que leur père s'était endormi dans le canapé pendant que leur mère s'était rendu dans la chambre parentale, car depuis quelques jours, c'était le schéma qui se répétait chaque soir.
Il avait fini par se lever. La porte de sa chambre était fermée – elle l'était toujours, il ne supportait pas de la laisser ouverte – et au dehors, le tonnerre grondait. Parfois, lorsque ses parents n'étaient pas à l'appartement, et que seule la nourrice s'y trouvait, veillant sur ses sœurs encore trop jeunes, Izaya mettait sa chaîne Hi-fi au volume minimum et se laissait bercer par la musique. Classique, la plupart du temps.
Mais là, il n'avait pas désiré rompre ce silence. L'animation de la ville le berçait également, et à cette époque, il aimait encore le son de la pluie et du tonnerre. Si bien que lorsque quelque chose attira son attention depuis le salon, Izaya sentit un certain malaise s'installer en lui. Le brun n'était pas un froussard, loin de là, et il fallait bien plus que quelques bruits pour l'effrayer. Alors il se leva et dirigea vers la porte. Il l'ouvrit sans faire de bruit, et se glissa dans le couloir. La chambre de ses sœurs se trouvait en face de la sienne, et il y jeta un coup d'œil. Elles dormaient bien sagement dans leur lit double, leurs mains entrelacées.
Il fit demi-tour, et se dirigea vers le bout du couloir sur la pointe des pieds. Peut-être son père s'était-il endormi devant la télévision, et avait monté le son par inadvertance ? Tout était possible, et si Izaya se déplaçait, c'était simplement pour vérifier que tout allait bien. Ses sœurs étaient à quelques pas de là, alors il voulait vérifier. Il devait vérifier.
La télévision était effectivement allumée. Le son était bien trop fort, pas réellement assourdissant, mais pour l'heure qu'il était, cela était dérangeant ; jamais son père ne l'aurait laissé à ce volume-ci. Il était bien trop respectueux et, tout comme son fils, n'aimait pas réellement les choses qui faisaient trop de bruits.
Son sang se glaça, et quelque chose qu'il n'arriva pas à identifier lui comprima la cage thoracique.
Dans les films, les gens ne découvraient l'affreuse vérité que par un pur et malheureux hasard ; ils tombaient dessus par surprise, comme si rien n'avait pu les préparer à une telle éventualité. Tout n'était qu'étonnement et incompréhension. La réalité était tout autre. Pas du tout.
Le salon sentait le sang et le macchabée. L'odeur était forte et rance, prenait à la gorge et lui retournait l'estomac comme jamais. Rien ne pouvait préparer quelqu'un à cette sensation, personne ne pouvait savoir quelle serait sa réaction – personne ne se connaissait assez pour ça.
Et malgré le fait que c'était la première fois qu'une telle odeur parvenait jusque lui, lorsque le brun arriva dans la pièce, il sut. D'instinct. Son cœur s'était serré, et il avait eu quelques secondes d'hésitation avant de continuer. Fais demi-tour, va chercher une arme, défends-toi. Mais il ne bougea pas.
La première chose qu'il vit fut la main de sa mère sur le sol alors qu'un éclair traversait le ciel, illuminant le salon. Elle trempait dans une flaque de sang, sa peau pourtant si blanche était désormais teintée de rouge, et ses veines si apparentes remontaient jusqu'au bout de ses doigts. Son alliance reflétait les éclairs de l'extérieur. Sans pouvoir faire autrement, les yeux du brun suivirent le reste ; la main, le bras, l'épaule. Puis la tête. Son visage, autrefois si beau et harmonieux, impeccablement maquillé avec le goût qui seyait à une femme de sa trempe, était désormais vide et semblait presque flasque. Ses grands yeux sombres regardaient le vide. Un vide qu'elle seule semblait être capable de percevoir. Un trou béant se trouvait au milieu de son front, et des flots de sang s'en déversaient, élargissant la flaque qui se créait autour de son corps inerte. L'estomac d'Izaya se tordit, mais il ne bougea toujours pas. Il ne parla pas. Ne cria pas.
Il ne pouvait qu'observer.
Un nouvel éclair, suivit rapidement par un grondement de tonnerre déchirant.
Derrière le canapé, le brun pouvait apercevoir deux jambes, elles aussi inertes.
La porte était entre-ouverte.
L'odeur était plus forte que jamais, lui harponnant la gorge. Il ne parvenait plus à penser à autre chose ; rien que l'odeur et les éclairs. Seule la télévision déchirait le silence de la nuit. Il ne pouvait même plus entendre l'agitation en bas de la rue. Des passants marchaient tranquillement, sans se douter de rien, sans se douter que quelques étages au-dessus, deux corps reposaient sur le sol froid d'un appartement silencieux.
Fétide.
Déchirant.
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At the edge of our hearts || Shizaya
FanfictionShizuo X Izaya | Durarara | Univers Alternatif | Terminée Izaya n'aimait pas vraiment les nuits d'orage. Il se débrouillait toujours pour ne pas être seul dans ces moments là - quelques heures en compagnie d'un inconnu faisaient en général l'affair...