2ème chapitre

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Je me souviens encore de l'odeur qui régnait dans la cour quand nous sommes descendus de la voiture, cette odeur de brûlé aux senteurs âcres et irritantes, mélangée aux odeurs d'essences et de paille carbonisée. La seule chose qui n'avait pas brûlé était la maison éloignée des bâtiments agricoles. Je regardais longuement le foyer qui m'avait vue naître et grandir, celui où j'avais vécu les plus belles et heureuses années de ma courte existence. L'amour de deux parents qui sont partis alors que j'avais encore besoin d'eux. Mais il me reste ma tante, j'aurais pu devenir orphelin et placé en foyer. Bien qu'elle ait fait son possible pour venir nous voir régulièrement, je ne la connais pas vraiment.

Bien sûr que je voyais son visage et entendais sa voix quand maman se connectait en visioconférence, elle et papa était toujours heureux de la voir même si c'était par écrans interposés. Je savais aussi que la vie n'avait épargné aucune des deux parties. Je sors de ma rêverie quand elle pose délicatement sa main sur mon épaule et me fait signe que nous devons entrer pour que je récupère quelques affaires et que le reste fera le voyage plus tard.

_ Prend ce qu'il te faut, mon grand. Je t'attend ici.

Je lui fais un signe de tête et m'éloigne pour prendre la direction de ma chambre. Elle se situe au rez-de-chausée, non loin du salon. Je passe devant la porte de chambre de mes parents. Un frisson d'appréhension passe le long de mon échine et me déclenche des sueurs froides. Au seuil de la porte, je reconnais le foulard de ma mère qui gît au sol, je me penche et le ramasse, en hume l'odeur, elle et son parfum mélangé. Je le prends avec moi et continue jusqu'à ma chambre ou je jette le maximum de vêtements dans mon sac de voyage, j'en profite pour me changer et enfiler des vêtements sombres pour leur enterrement. Je me dépêche de rejoindre Gail pour ne pas m'attarder devant la chambre. Je ramasse la casquette de mon père avec le sigle de son équipe de baseball préférée.

Arrivés dehors je reprends la respiration que je ne me souvenais pas avoir retenu. Face à moi gît les vestiges de la moissonneuse qui apparemment aurait déclenché l'incendie. Je ne peux retenir plus longtemps mes larmes et les cris de souffrance que je retenais. Je laisse évacuer ma peine et ma rage face au malheur qui vient nous endeuiller. Quand je peux enfin me relever secoué par des spasmes qui s'atténuent, je relève la tête et dis à ma tante que nous pouvons partir.

Le chemin qui mène au funérarium se fait dans un silence de plomb. Je regarde défiler le paysage que je connais depuis des années. Ma tante stoppe la voiture et quand je descend les bras de violette, celle qui a été ma nounou et la meilleure amie de ma mère m'enveloppe dans une étreinte réconfortante. Hugues, son mari et aussi mon parrain prend alors le relais et me dit que tout ira bien. Que ma tante saura prendre soin de moi et que l'exploitation sera entre de bonnes mains jusqu'à mon retour. Il me dit aussi de faire en sorte que mes parents soient fiers de moi. Je le lui promet et entre dans le bâtiment où les cercueils scellés et posés l'un à côté de l'autre attendent pour le transport jusqu'au caveau familial.

Je m'approche des cercueils et embrasse chacun d'eux. Une caresse légère sur le bois vernis et je fais le serment de ne jamais les oublier. Le passage à l'église et la mise en terre furent une épreuve épouvantable, quand le caveau fut scellé, j'ai su que plus rien ne me retenais ici. Un dernier regard en arrière et ma vie prenait un nouveau tournant. Un nouveau continent, une nouvelle ville, une nouvelle famille, une nouvelle vie.

Bien que je ne parle pas beaucoup jusqu'à l'aéroport, je jette de tant à autres de légers regards à Gail. Une certaine ressemblance sur son visage. La même couleur de cheveux auburn qui tire sur le blond. La même silhouette gracile. Je suis sûr que même son sourire sous ses traits fatigués est exactement le même que celui de maman. Je ne suis pas trop à l'aise avec les gens que je ne connais pas. Pourtant mes parents avaient le contact facile, ce que je n'ai pas hérité d'eux.

Un raclement de gorge me fait sortir de mes pensées. Je sais que tante Gail essaie de me sortir de mon mutisme mais je n'y arrive pas, mon esprit est toujours tourné sur ce qui vient d'arriver. Comment je vais faire le deuil de mes parents. Vais-je passer par toutes les étapes dont on parle, vais-je me faire à tout ces changements. Où est-ce que je vais me laisser glisser et ne jamais revenir a celui que j'ai été il y a seulement quelques heures.

L'arrivée à l'agence de location de voiture qui se trouve à l'aéroport se fait sans que je ne m'en rende compte. Nous nous engoufrons dans le hall, ma tante me conduit au niveau de l'hôtesse pour prendre mon billet d'avion.

L'attente pour embarquer était longue mais je m'en fichais, j'avais vissé la casquette de mon père sur ma tête et je regardais les gens allaient et venir. Gail en avait profite pour aller nous chercher quelques petites choses pour remplir nos estomacs noué par la perte. Je n'avais pas faim mais je picorais quelques crackers qu'elle avait ramené. Quand la voix désincarnée de l'hôtesse nous appelait pour nous rapprocher de la passerelle d'embarquement.

Je me retournais vers les vitres et regardais une dernière fois le paysage, graver une dernière fois ce que je ne reverrais peut-être plus, pour me souvenir un tant soit peu de mon pays.

ink story "Hayden" (mxm)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant