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Journal d'Anna Harlington, 2075, Jour 1 (extraits)

Une petite partie concernant la nourriture ? Je me suis rendue compte ce matin que je pouvais écrire n'importe quand puisque mon journal intime est dans ma tête. Autant en profiter, on vient de nous amener à manger.

Donc... notre nourriture se présente sous la forme d'une bouillie beige dégueulasse et d'un rectangle de pâte dure sans aucun goût. Intéressant, n'est-ce pas ?

Bon, OK, j'essaie de ne pas penser à Jana. Quand elle me traverse l'esprit, cette menteuse, cette traîtresse – mes yeux se mettent à me brûler et mes poings se serrent – je me mets à pleurer. Je ne veux pas penser à elle, ça fait trop mal, beaucoup trop mal, mais elle se glisse dans chacune de mes pensées. Tout semble me ramener vers elle.

Je me recroqueville dans un coin de ma cage. Je pense que je ne suis pas la seule à avoir vu son médecin personnel parmi ces gens : beaucoup d'entre nous pleurent depuis hier. Le adultes sont méchants, méchants, méchants !

Un bruit soudain me fait me redresser. Je vois un garçon s'effondrer, électrocuté. C'est le premier de la rangée tout à droite. Quoi ?! Il n'avait rien fait ! Rien ! Pourquoi est-il puni ? Deux soldats s'approchent, la porte de la cage s'ouvre et les hommes empoignent le malheureux pour le traîner hors de la salle. Leur victime est encore paralysée par la décharge et ne peux se tenir sur ses propres jambes. Tout s'est passé si vite que j'ai de la peine à croire que c'est arrivé. Et cette fois, tout le monde est resté silencieux.

Je me roule en boule au fond de ma cage. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? Ça va m'arriver ? Mais pourquoi ? Pourquoi ?

Je me recroqueville un peu plus sur moi-même pour me protéger. Je veux sortir, je veux partir ! Mon cœur bat si vite qu'il semble vrombir dans ma poitrine, ma gorge enfle, des larmes glissent en silence sur mes joues... Je vous en prie, quelqu'un, aidez-nous ! Nous ne pouvons pas rester ici, quelqu'un va venir nous chercher, ce n'est pas possible autrement !

J'ai peur, j'ai de la peine à respirer, j'ai peur... À l'aide, s'il-vous-plaît... À l'aide...

Huit minutes trente-quatre secondes plus tard, les soldats entrent à nouveau dans la pièce. Ils traînent à nouveau le garçon derrière eux, comme s'il avait été à nouveau électrocuté. Ensuite, la fille dans la cage à côté se fait électrocuter et ils l'emmènent.

Un murmure se répand dans toute la pièce, plein d'une stupeur terrifiée. Il ne me faut que quelques instants pour saisir le message.

« Ils lui ont mis un collier ! Il lui ont mis un collier ! »

Comme un animal. Comme un animal...

Je bloque ma respiration pendant deux minutes entières, mais je continue à pleurer en même temps, j'ai si mal...

Le murmure ne cesse pas ; au contraire, il s'étend, s'amplifie. On parle, on essaie de se rassurer. Ça ne marche pas. La peur est partout, nous nous contaminons mutuellement.

Je n'arrive pas à comprendre, je n'arrive pas à accepter, je n'arrive pas à savoir pourquoi... Pourquoi pourquoi pourquoi ???? Je sais qu'ils sont méchants, indigne de confiance, lâches, menteurs, mais je ne sais pas, je ne vois pas... Pourquoi ?

Je ne sais rien...

Je suis là roulée en boule, à me morfondre, quand une voix familière m'interpelle. Je me redresse pour voir d'où elle vient.

L'îleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant