Journal d'Anna Harlington, 2076, date précise inconnue (extraits)
Vu que hier, j'ai réussi à me débarrasser de tout mes adversaires sans les tuer en moins de 9 minutes, je crois que je vais avoir une belle récompense. Dire que j'ai hésité la première fois ! Dire que l'un d'eux a réussi à me toucher la première fois !
Quand je relis ce que j'ai écrit avant les cages, avant le départ d'Olga, je me sens ridiculement naïve et stupide. Comment ai-je pu ne pas remarquer que tout ceci était trop bizarre pour être vrai ? Comment ai-je pu, lorsque les soldats sont venus nous chercher pendant la réunion, ne pas voir que j'avais le pouvoir de m'échapper ?
La vérité, c'est qu'au fond de moi, je faisais confiance aux adultes. Mon cerveau avait des doutes – et heureusement ! – mais je croyais encore à un monde sans violence. Même après le départ d'Olga...
D'ailleurs, comment ai-je pu avoir des amis ? Je sais maintenant à quel point c'est dangereux. Je n'arrive pas à comprendre que j'ai pu ne pas le voir avant. Quand je me relis, j'éprouve soit de la colère envers la fille que j'étais, soit de la frustration de ne pouvoir me prévenir, soit, et c'est le pire, l'incompréhension la plus totale.
J'ai de la peine à croire que la fille qui ai écrit ces lignes soit moi. J'ai l'impression que c'est quelqu'un d'autre. Et bien que je ne l'admettrai jamais à haute voix, je peux dire ici ce que je vais taire : ça me fait peur. Comment peut-on changer autant en à peine quelques mois ?
Malgré cela, une partie de moi comprend ce désir d'avoir des personnes proches de soi. Car ici, je suis seule, désespérément seule. Je ne parle à personne et personne ne me parle. J'ai tellement envie de pouvoir baisser la garde, juste de temps en temps ! Malheureusement c'est impossible dans ce monde... Je peux le dire ici, là où personne ne l'entendra : Grégoire me manque. Même si je sais que les amis sont une faiblesse, même si je suis stupéfaite par la bêtise de mon moi d'avant, qui ne le savait pas, une partie de moi, que je réprime chaque jour, meurt de solitude.
Mon regard tombe alors sur Naoki. De tous ceux que je peux observer, c'est celui qui gère le plus mal la situation. Alors que ce n'est qu'un bout de moi qui menace de s'éteindre, pour lui c'est son esprit entier qui risque de ne pas résister à l'ambiance de rivalité permanente qui règne.
Tant pis pour lui si il n'y arrive pas ! s'exclame une voix dans mon cerveau – cette même voix qui se réjouit de tuer.
Naoki ne mérite pas ça ! rétorque la partie de moi qui se meurt de solitude.
Mais l'autre a raison : si je veux survivre, je ne dois me soucier que de moi. Et de personne d'autre. Je me détourne alors de Naoki et de sa tristesse désespérée. Le seul moyen de survivre est d'être dur, froid, de ne pas dépenser inutilement d'énergie pour aider les autres, de ne pas donner aux adultes de prise sur soi.
À ce moment précis, l'écran au-dessus de la porte s'allume. On va annoncer les résultats des épreuves d'hier. Je trépigne d'impatience : je veux savoir si j'ai progressé, avec le combat génial que j'ai fait.
Nos numéros s'affichent à l'écran. Je connais le mien – sujet E-6/192-8/S5 – mais malgré tout je ne comprends pas ce qu'ils signifie, et là, par contre, l'ignorance me met en colère. La seule chose qu'on peut deviner, c'est que le chiffre immédiatement après le E est notre lignée et indique le type de modifs qu'on a reçues. Pour le reste, mystère, même si je suppose que le chiffre après le 192 est notre âge lors des opérations...
Mais je ne dois pas parler avec d'autres modifiés, car ce sont mes ennemis. Donc je dois me contenter de mes propres suppositions, ce qui est bien suffisant : après tout, nous sommes le summum, le « nec plus ultra de la technologie ». Donc, nous devons nous en sortir seuls, en tant que « nec plus ultra ».
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L'île
Science FictionUne île, loin de tout. C'est là que James débarque avec d'autres soldats, pour la sécuriser. Mais lui et les autres ne sont que les pantins d'enjeux qui les dépassent, manipulés par leurs supérieurs comme par leurs ennemis. De la vulgaire chair...