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Journal d'Anna Harlington, 2075, date précise inconnue (extraits)

Ça doit faire deux semaines qu'on se bat les uns contre les autres. Comme je l'ai dit, je ne perds plus mon temps à tenter de savoir quel jour on est. Une approximation me suffit. Et nous sommes approximativement fin octobre. J'ai pris le rythme ; je ne suis plus réveillée par le chariot et je m'habitue à défoncer les gens.

Le seul truc auquel je ne m'habitue pas, c'est de ne plus pouvoir parler avec Grégoire. Ça m'aidait beaucoup. Sauf que nous avons cessé de communiquer, comme je te l'ai déjà dit. C'est trop dangereux. On ne sait pas ce que les adultes perçoivent de nos communications.

Aujourd'hui, comme chaque jour, les soldats viennent nous chercher dans le désordre. Je m'assieds au fond de ma cage. Je sais qu'ils n'aiment pas quand on est debout ou trop proches d'eux.

Mais cette fois ça ne se passe pas comme prévu. Ils ne prennent pas deux d'entre nous ; ils n'en prennent qu'un à la fois. C'est plutôt inquiétant, mais que peut-il encore nous arriver ?

Je me redresse pour bien voir ce qu'il se passe. Comme d'habitude, il faut attendre pour avoir quelques bribes d'informations. Je hais les adultes, qui nous font moisir ici ! Les militaires reviennent chercher quelqu'un... mais sans ramener le premier.

Eh, me murmure Naoki au bout d'un moment. Tu crois qu'il va arriver quoi ?

Il est l'un des rares à parler encore avec ses voisins. Je ne sais pas si je l'admire ou s'il m'exaspère, mais en tout cas son attitude n'est pas la norme. Cependant je lui parle aussi : je me sens si seule depuis que je discute plus avec Grégoire ! J'en ai besoin, pourtant ! Toute cette histoire avec... avec... non, je ne peux pas le dire. Je ne peux pas !!!

Je ne sais pas, mais c'est pas bon, lâché-je d'un ton sec, irritée que mes pensées me ramènent à mon amie.

Naoki se replie sur lui-même comme un escargot dans sa coquille. Je me sens aussitôt mal. Je n'aurai pas dû, il n'avait pas mérité que je lui parle comme ça. J'ouvre la bouche pour m'excuser quand un soldat s'arrête devant ma cage. Je tressaille, par réflexe, puis, docilement, je passe mes mains entre deux barreaux.

Le garde me met des menottes qui se referment avec un claquement familier. Malgré tout je sens l'adrénaline se répandre dans mon système. Que va-t-il se passer, encore ? J'en ai marre de me poser cette question, j'en ai marre de ne pas contrôler ma vie ! Mais tant que... tant... qu'Olga... est entre leurs mains...

Stop. Il faut que je me calme. C'est la clé.

Je dompte mes émotions avec soin et sort lentement de ma cage après que l'on en ait déverrouillé la porte. Je suit les gardes qui m'encadrent. Je sens leur peur, mais elle n'est plus aussi présente qu'avant. Ils se sont habitués. Moi aussi, je me suis habituée. Je laisse mon CC engourdir mon cœur, c'est si facile.

Je ne me donne même plus la peine de regarder autour de moi. Je connais parfaitement ces couloirs ; de plus, l'arène n'est pas très loin de la salle des cages. Je sais aussi que nous ne croiserons personne, comme si nous et les soldats étions seuls ici.

Je sais que tout ça est un mensonge. Je le sais, et j'ai peur.

Les soldats me laissent dans la grande pièce. J'irai dans l'arène quand la porte s'ouvrira ; sinon, je serai punie. Je me tends, prête à bondir. Mon système passe en mode combat. L'appréhension me noue les tripes.

Le pan de mur coulisse et j'entre dans l'arène avec prudence. Ses hauts murs lisses me paraissent toujours immenses, quoi qu'ils ne fassent que six mètres de haut. Le « plafond » est une grille hypersolide et... électrifiée. Je peux sentir l'odeur d'ozone caractéristique de l'électricité.

L'îleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant