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Journal d'Anna Harlington, date précise inconnue, 2082 (extraits)

Jour 4

Me voici arrivée devant ma première vraie maison depuis... depuis dix ans. Je ne considère pas l'orphelinat comme une vraie maison, alors on peut dire que cela fait une éternité que je n'en ai pas vu.

Je suis arrivée à proximité de cette propriété alors que le soleil était déjà haut dans le ciel. Des champs et des vergers l'entourent, mais il y a personne là-bas, j'ai pu progresser sans que quiconque me remarque. Et voilà que la façade de la bâtisse a surgit d'entre les arbres. Elle est blanche, avec des volets rouges, entourée d'un pelouse verte tondue à la perfection, elle-même ceinte d'une barrière de bois.

Je m'en approche avec circonspection – aucun bruit humain pour le moment, mais les odeurs des habitants des lieux m'emplissent les narines. Je l'examine, surprise de la trouver bizarre. Je n'ai jamais vu d'endroit comme celui-ci avant, ou peut-être une ou deux fois, dans un livre pour enfant.

Les branches des pommiers filtrent la lumière, ce qui est très agréable : le soleil tape dur. La sueur dégouline le long de mon dos et de mon visage. Je plisse les yeux pour lutter contre la luminosité trop élevée pour mes iris habituée à des lampes électriques.

L'herbe est douce sous mon pied quand je m'avance. Mon CC affiche le signal de plusieurs appareils électroniques – télé, ordis, portables... Un bourdonnement d'infos sature soudain mon capteur. Des millions d'infos à la seconde, trop vite pour que je les perçoive de manière individuelles. Un nom jaillit de ma mémoire : internet.

Mes lèvres s'incurvent. Voilà qui va m'être utile. Internet me fournira les réponses à mes questions sur la monnaie, les usages, l'endroit où je me trouve, les moyens de transports... mes souvenirs sont si flous ! Quand j'étais enfant, les adultes géraient tout cela pour moi. Je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemble le vrai monde. Mais, pensé-je, toute contente, voilà qui résout ce problème !

Je remarque une alarme. Je la désactive en moins d'une seconde. Si elle représente le summum de la sécurité dans ce monde, alors je n'ai rien à craindre. Je me connecte au système de caméras interne : personne dans la maison. Parfait. J'ordonne au système de cesser d'enregistrer. Puis je m'élance vers la maison, saute la barrière de bois blanc, atterrit sur la pelouse émeraude bien arrosée et fonce vers ce qui me semble être l'arrière de la maison. Bingo ! Quelques marches mènent à une porte rouge, assortie aux volets. Je m'en approche.

Mon rythme cardiaque accélère. Pour la première fois en dix ans, je vais entrer en contact avec quelque chose qui n'a pas été construit par mes geôliers.

C'est historique, murmuré-je avec ironie.

J'inspire profondément et plonge mon pied sur la première marche.

Rien ne se passe. Bien sûr. Il n'y a pas de pièges ici, pas comme dans l'arène. Ce n'est qu'une bête marche. Je secoue la tête. Il faut que je sois plus efficace si je ne veux pas me faire rattraper. Moins naïve. Moins émerveillée. Je dois...

Non ! Je ne serai pas un robot ! me hurle mon esprit.

Il a raison, mais mon instinct aussi. Cependant, impossible de s'attarder. Les marches craquent sous mes pieds. La porte pivote toute seule sur ses gonds : pas de verrou... pfff, et des gens arrivent à se sentir en sécurité ici ? Sérieusement ?

Je franchis le seuil. Devant moi s'étend un couloir aux murs recouverts de photos. Sur ma gauche, le mur disparaît et laisse place à un salon et une cuisine. Sur ma droite, des escaliers mènent à l'étage. Juste après, une porte fermée. Une foule d'odeurs emplissent mon nez : poussière, fleurs fanées, parfums de peau et de savon. Mon regard se pose sur les photos. Un homme, une femme, un enfant de plus en plus grand. Si je me fie aux images, il doit avoir un trentaine d'années aujourd'hui.

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