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Journal d'Anna Harlington, date précise inconnue, 2082 (extraits)

Je suis dehors.

Je suis dehors.

Je suis dehors.

Je doute encore de la réalité de ce moment. Une part de moi est effrayée – peur que ce ne soit qu'un rêve, peur d'être rattrapée.

Mais c'est impossible. Aucun rêve n'est aussi beau, aussi merveilleux. Et il n'est personne en ce monde qui puisse m'arrêter. Je suis une tueuse à la peau impénétrable. Je suis une ombre, une langue de brouillard qui se délite si on l'approche. Je suis comme de l'eau vive ; j'échappe à ceux qui veulent me retenir de leur doigts patauds. Je suis un mirage, aussitôt disparu, aussitôt oublié.

Je suis libre.

Et la liberté se pare de vert et d'or pour moi. La liberté est dans le chant des oiseaux, le bruissements des feuilles, la caresse des rayons du soleil sur mon visage. Elle est l'odeur de la terre et de la mer, l'odeur des petits animaux dans les bois, la sensation des feuilles mortes et des brindilles sous mes pieds.

La liberté est merveilleuse. Brillante, magnifique, elle emplit mon cœur d'admiration devant l'infinité des possibles. Des dizaines de chemins s'ouvrent à moi, et nul ne peut me contraindre à en emprunter un.

Ici, au cœur de cette forêt luxuriante qui m'enveloppe tel un cocon, je peux effectuer ma mue. Réchauffée par les rayons du soleil, protégée par les buissons et les épaisses frondaisons, rassasiée par de petits animaux et des baies, désaltérée par l'eau limpide des ruisseaux, je peux me débarrasser du monstre que les adultes ont créé.

Je suis libre ; moi seule choisirai quel chemin emprunter... et la personne qui empruntera ce chemin.

Jour 1 – après l'évasion.

Ce n'est que près de quatre jours plus tard que je trouve enfin la force d'écrire ce qu'il s'est passé après que j'ai posé le pied sur cette plage. Tant de choses m'ont distraites, ont accaparé mon esprit !

Lorsque j'ai enfin posé le pied sur la plage, après cette nage éreintante, je pouvais à peine tenir debout. Je me souviens du sable humide qui s'enfonçait sous mon poids, du bruissement des feuilles des arbres, de la fraîcheur de l'air sur ma peau – une multitude de sensations oubliées. Mais j'étais si fatiguée que je n'ai pas pu les savourer. Je me suis traînée jusqu'aux rochers que j'avais vu, j'ai trouvé un recoin à l'abri du vent et loin des vagues, et j'ai sombré dans un sommeil profond.

Le lendemain matin, je me réveille dans un rêve – le plus beau des rêves !

Tout d'abord, je ne me souviens de mon évasion. Je reste figée, à me demander quel est ce bruit sourd et régulier, et pourquoi le sol en métal de ma cage me paraît si bizarre au toucher. Puis tout me revient en mémoire. Mes yeux s'ouvrent d'un coup. Par un réflexe acquis au cours de toutes ces années de lutte, j'analyse mon environnement avant de bouger.

Je me trouve dans une étroite faille, allongée à même la roche sombre. Des rocs énormes me barraient la vue. Je renifle – personne. Alors je sors.

Je ne connais pas les mots pour décrire ce que je ressens à ce moment-là. Le ciel, d'un bleu vif, profond, s'étale dans toutes les directions au-dessus de ma tête. Une multitude d'oiseaux s'ébattent au sein de sa perfection azurée, piaillent, font des loopings, plongent au creux des vagues.

Autour de moi, je vois plusieurs nids construits dans les rochers. Des oiseaux de mer se pressent autour. Devant moi, l'océan – reflet inversé du ciel tranquille, qui même par le plus beau temps s'agitait sans cesse et grondait en permanence. Sur mes côtés, deux longs rubans de plage dorée, vides, qui s'étendent aussi loin que peut porter le regard.

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