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Journal d'Anna Harlington, date précise inconnue, 2079, (extraits)

L'un de nous a tenté de s'échapper. C'est la rumeur qui circule. J'ignore si c'est vrai ; en tout cas, deux d'entre nous manquent à l'appel. Nous ne les avons pas vus partir. Ce matin, ils n'étaient plus là : les adultes ont dû venir les chercher pendant que nous dormions ; puisque la pièce est saturée de produit pendant la nuit, nous tombons comme des bûches dès la « nuit ». Si c'est vrai, les adultes n'ont pas dû aimer. Ils vont être sévèrement punis – je n'ose imaginer comment.

Cela dit... s'échapper, c'est notre rêve à tous, mais aucun de nous n'a jamais osé tenter quoi que ce soit. Si c'est vrai... même si la tentative a échoué... c'est génial ! Deux d'entre nous l'on tenté : peut-être qu'un jour quelqu'un réussira ? Peut-être même qu'il parviendra à nous libérer ? Enfin, même si il n'y arrive pas, savoir que nous ne sommes pas tous sous le contrôle des adultes sera un réconfort puissant... et une belle humiliation pour nos geôliers ! Une joie profonde m'envahit : les bonnes nouvelles sont si rares ici !

Voilà que j'en parle comme si c'était déjà arrivé ! Mais depuis que nous, les « monstres », nous sommes alliés contre les adultes, l'espoir de parvenir à s'enfuir, grâce à un plan élaboré avec soin, a grandi de manière démesurée en chacun de nous. Nous imaginons comment doit être l'extérieur, le vent, la pluie, les odeurs, les villes... Y revoir, y vivre est mon souhait le plus cher. Nous étions si jeune quand nous avons été capturés : nos souvenirs sont flous ou incomplets. Nous voyions les choses de nos points de vue d'enfants, pas concentrés sur le monde des grands.

Mon estomac se tort sous l'effet de la fureur. Cette prison, ces cages... ces bourreaux... Je ne peux m'empêcher d'éprouver une sorte de rancœur à l'égard de la fille que j'étais : elle s'est laissée avoir si stupidement ! Mais d'un autre côté, les adultes nous ont tous bernés. Je ne pouvais pas rivaliser ; aucun de nous ne le pouvait. Malgré tout, l'idée que j'aurai pu m'échapper... Tellement facilement !

À l'époque, je n'imaginais même pas vouloir partir. L'orphelinat était le meilleur endroit du monde. Ce n'est qu'après la disparition d'Olga que j'ai commencé à me méfier de cet endroit... des monstres qui le dirigent.

E-6/192-8 ?

Je chasse les lignes de texte de mon journal intime d'une pensée et me tourne vers celle qui m'a appelé : une jeune fille à la peau mate et à l'air intimidant, dans la cage en face de la mienne.

E-8/149-8, c'est ça ?

Tu as entendu les rumeurs ? demande-t-elle.

Son excitation est contagieuse et je lui retourne un sourire enthousiaste.

Bien sûr ! Même si nos gardiens n'osent pas en parler ! ricané-je avec un mouvement vague en direction des soldats.

Ce serai plutôt humiliant pour eux !

La blonde se joint à la conversation. Ses yeux brillent de joie.

Je crois que c'est vrai. Le mec au bout de la rangée a entendu un soldat en parler à un autre pendant la relève !

Il ne dirait pas un mensonge, aucun d'entre nous ne donnerait aux autres de faux espoirs ! approuvé-je.

En parler avec d'autres transformait ma petite joie personnelle en un incroyable triomphe collectif – renforcé par le fait que cela rabaissait nos bourreaux. Déjà, je m'imaginais laisser les cadavres des soldats derrière moi pour m'élancer dans la lumière éclatante du jour, du vrai jour, une lumière chaude, vivante, magique. Par réflexe, j'inspire profondément, me rappelant les odeurs délicieuses du dehors : fleurs, herbes, feuilles, terre... Alors qu'avant les cages je m'en fichais, aujourd'hui je les vois comme un merveilleux trésor. Une marque de cette liberté que les adultes nous ont ôté.

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