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Journal d'Anna Harlington, 2075 Jour 2 (extraits)

Il me tira dessus.

Je vois la scène au ralentit, comme dans un rêve. La balle qui sort du canon. La détonation. L'arme qui oscille dans la main qui la tient.

Et puis le choc. Au niveau du ventre, qui me coupe la respiration. Comme si on m'avait enfoncé un poing dans l'estomac.

J'attends la sensation de chaleur qui accompagnera le sang jaillissant de ma plaie, la faiblesse subite de mon corps tandis que l'hémoglobine coulera, et enfin la douleur qui me paralysera, mais rien. Je ne sens rien.

Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ? Pourquoi je ne sens rien ? Pourquoi il ne se passe rien ?

Ma respiration accélère, mon cœur bat comme un tambour dans ma poitrine. Mon niveau d'adrénaline augmente de façon significative. Je vois les données s'accumuler sur mon affichage rétinien.

L'homme s'approche. Il se penche devant moi. Ramasse quelque chose par terre pour me le présenter.

La balle. Toute tordue.

Il avance la main avec précaution pour détacher la sangle de ma tête afin de me permettre de me regarder le ventre, puis soulève mon T-shirt pour dévoiler mon estomac.

Ma peau est blanche et lisse, dépourvue de la moindre égratignure. Rien.

Comment ? Rien ? Comment était-ce possible ? La balle m'avait touchée. Il me l'avait montrée. Je le savais. Alors comment ? Je me mets à respirer plus vite.

L'homme fait un signe aux soldats. Aussitôt ils se précipitent vers moi. L'un d'eux me plaque la tête contre la table tandis que l'autre fixe la sangle. L'odeur de leur peur m'emplit les poumons, augmentant la mienne. Je peux lire sur leur visage leur dégoût, et une panique insidieuse s'insinue en moi.

Leur réaction prouvait que c'était quelque chose en moi qui avait arrêté la balle. Et ce quelque chose provoquait peur et répulsion chez les hommes. Mais quoi ? Aucune peau humaine ne peut arrêter les balles...

Le scientifique me fournit la réponse.

Les modifications ont fait de toi quelque chose de plus fort qu'un humain.

Quand je l'entends dire "quelque chose", j'en éprouve une douleur presque physique. Ce mot contient tant de mépris, d'indifférence pour moi !

Grâce à cela, nous pourrons sauver la vie de centaines de personnes, m'explique-t-il calmement, comme s'il n'était pas en train de détruire mon monde. Mais tu n'es plus humaine. Tu n'es plus une personne, et tu es notre propriété.

Chaque mot qu'il prononce est comme une flèche dans mon cœur. Je voudrais hurler, frapper, courir loin, loin d'ici...

Je suis à la fois folle de colère et de peur. Je suis humaine ! Il ment ! Il ment ! Mais en même temps, il y a les modifications...

Je commence à m'agiter, je tire contre les sangles qui me scient la peau, j'essaie de les rompre, mais en vain. Alors par réflexe, pour leur montrer ma rage, je fais claquer ma mâchoire, dévoilant mes dents comme si c'était des crocs.

Il faut en finir maintenant, annonce un soldat.

Le scientifique s'approche un peu, et me chuchote comme si c'était un secret :

Et puisque tu n'es pas humaine, tu ne sortira jamais d'ici.

Je lui crache à la figure, me débats encore plus, rendue enragée par ses propos. Comment peut-il me dire ça !? Comment !? Monstre ! Monstre ! Comme Jana, comme tout les adultes ! Monstre !

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