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Elle détestait l'école. C'était un lieu de torture pour elle.
Les cours l'ennuyaient à mourir alors que cela ne faisait même pas une semaine que l'année avait commencé. Elle préférait se promener dans la rue et observer les gens marcher. Elle leur inventait une vie rien qu'en regardant leur démarche. Parfois, leur manière de se déplacer facilitait son imagination, mais la plupart du temps elle était obligée de tout inventer.
Un grand monsieur avec un long manteau terne, des vêtements tout aussi ternes, un deerstalker sur un crâne très chevelu, de petites lunettes rondes sur le nez, une barbe rêche qui se terminait en pointe sur le haut de son sternum. Elle ne voyait pas bien ses rides de là où elle se tenait ce matin-là, sur le chemin de l'école, mais elle voyait tout de même la vieillesse sur son visage. Ses mains étaient dissimulées dans les poches un peu trop basses de son manteau terne, alors elle lui imagina une vie terne.
Elle imaginait qu'il fumait la pipe. Comme Jackson, le tuteur de sa neuvième famille d'accueil. Hailee détestait quand il fumait la pipe dans le salon. Le tabac sentait si fort que ça l'obligeait à aller se réfugier dans le bureau où ce fameux Jackson avait placé son matelas qui serait son seul bien. "Tu dormiras là" avait-il dit. Collé contre un mur dont la peinture s'écaillait et lui tombait dessus pendant son sommeil. Elle imaginait donc qu'il fumait la pipe. Il n'avait pas du tout la même carrure que Jackson. Non, Jackson était plutôt un type balaise dont les seules choses qui lui manquaient étaient de la compassion et des cheveux.
Ce vieil homme aux habits ternes vivait dans une petite maison, vraiment petite. Une seule chambre, une salle de bain de la taille d'un cagibi, un salon qui communique avec la cuisine et la buanderie. Une petite maison pour un homme si grand. Hailee pensait qu'il avait acheté une telle maison parce qu'il était myope comme une taupe. Que si tout lui était à porter de main, il n'aurait pas besoin de mettre ses lunettes rondes chez lui.
Il avait probablement un chat, peut-être deux. Cet homme semblait assez éteint quand il était passé devant Hailee, sur le trottoir d'en face, alors elle avait pensé plutôt à un poisson rouge. Pas besoin de beaucoup d'attention. Elle l'imaginait comptable, ou tout du moins dans l'administratif. Tellement éteint qu'il serait capable de faire son travail sans broncher, de faire ses statistiques posément ou au moins de ranger ses dossiers de manière tout aussi éteinte que sa manière de marcher dans la rue. Comme si la vie l'avait dépourvu d'envie, de but.
Elle l'imaginait lire son journal devant sa tasse de thé, le matin. Pas de café non. Le café, ça jaunit les dents. Et même si ce monsieur semblait sans envie et sans but, il ne voulait surtout pas avoir les dents jaunes. Ce n'était pas un grand bavard, mais au moins il était poli. Il avait fait un signe de tête à Hailee, dans la rue, quand leurs regards s'étaient croisés. Ce fut à ce moment-là qu'elle avait choisi de déguerpir en vitesse.
Maintenant, elle était à l'école. Elle hésitait à rester cachée dans les toilettes pour l'heure du midi. Hailee avait beau ne pas avoir faim, son corps était en pleine croissance. Elle ne pouvait pas se permettre de devenir aussi maigre que ces lycéennes un peu excessives et égocentriques qui souhaitent devenir la reine du bal de fin d'année. Quelle blague ces filles.
Mais si Hailee ne faisait ça qu'un jour sur deux, peut-être que ça n'affecterait pas son métabolisme ? Elle ne voulait vraiment pas sortir, d'autant plus si les autres enfants allaient venir se moquer de sa solitude. Toutes les fois où elle avait décidé de ne pas se laisser marcher sur les pieds, il y avait eu des blessés. Elle ne pouvait pas se contrôler, pas à sa convenance tout du moins. Ce n'est pas faute d'avoir essayé pourtant.
Tout ce qu'elle voulait, c'était qu'on la laisse tranquille. Vivre avec Jackson était déjà suffisamment compliqué, pas besoin de gamins aussi bêtes que lui pour lui rendre la vie infernale. Alors elle détestait autant sa maison d'accueil que l'école. Le seul endroit où elle se sentait un tant soit peu chez elle n'appartenait à personne : la rue. C'est là que son loisir se trouvait, imaginer la vie des passants. C'était la seule chose qui l'empêchait de pleurer pendant des heures, de penser à la séparation avec son frère.
Bon, les toilettes n'étaient pas non plus un endroit très charmant. Son carrelage était immonde. Un jaune qui devait avoir une belle couleur il y a une quinzaine d'années mais qui, avec le temps et la saleté des enfants, avait mal vieilli et ressemblait à la couleur de sa pisse. Aussi terne que les habits ternes du vieux monsieur à la vie terne.
Sa vie à elle aussi était blafarde. C'était probablement la raison pour laquelle elle inventait des histoires aux passants dans la rue. Pour redonner un peu d'éclat à sa vie. Et c'était aussi sûrement pour cette raison qu'elle s'était sentie si proche de ce monsieur dans la rue, ou tout du moins proche de la vie qu'elle lui avait inventée.
Elle sortit de sa cabine, finalement décidée à aller manger. En priant que les autres élèves resteraient tranquilles. Elle espérait donc que la bouffe soit dégueulasse. Les enfants sont moins méchants quand il n'y a rien à mettre en jeu.
C'est quand elle entend la porte menant vers les couloirs s'ouvrir qu'elle se ravise. Il vaut mieux qu'elle reste cachée. Elle ne fera de mal à personne si elle reste cacher. Personne ne viendra l'embêter si elle reste cacher. Mais trop tard.
Elle n'eut pas le temps de foncer dans sa cabine que son regard se posa sur la personne qui venait d'entrer. Le fait que ce fut un garçon la convainquit de ne pas faire ce qu'elle savait faire de mieux : se cacher et imaginer des vies. Un garçon qu'elle ne connaissait pas, en plus. Cela faisait plus d'un an qu'elle vivait chez Jackson. C'était une première depuis la mort de ses parents. Désormais, elle connaissait tous les visages et celui de ce garçon lui était inconnu.
— O-oh pardon... Je... Je me suis trompé de toilettes...
Il était très grand, lui aussi. Comme le vieux monsieur terne. Il avait une chevelure très fournie et volumineuse. Des centaines de boucles. Un visage pâle, saupoudré de taches de rousseur. Des yeux d'un bleu loin d'être terne. Flamboyant. Alors elle lui imagina une vie loin d'être terne.
Une famille aimante et dévouée. Un chien, un grand chien. Beaucoup de sourires et de rires. Une grande maison, avec un garage. Il aimait travailler sur des voitures avec son père. Peut-être avait-il un frère ? Non, une sœur. Une grande sœur même. Il aimait aller à l'école en vélo et il passait ses heures perdues, après l'école, à lorgner les pâtisseries de la boulangerie au coin de sa rue. Un gourmand.
Il rougit fortement, faisant ressortir ses taches de rousseur. Le cœur d'Hailee sembla s'arrêter une seconde. Juste le temps que son regard ne se pose sur ce garçon très grand et loin d'être terne. Et quand leurs regards se croisèrent, elle ressentit quelque chose. Un effleurement sur sa bouche.
La jeune Hailee éclata alors de rire, accentuant le malaise du jeune homme.
— C'est la porte à côté.
Il hocha la tête, rouge écarlate. Il venait tout juste d'emménager, ça ce n'était pas son imagination.
— E-euh merci...
Elle lui sourit. Il avait l'air gentil. Plus gentil que Jackson. Autant que le vieil homme terne.
— Je suis Hailee, bienvenu dans le coin.
— Comment tu sais que je viens d'emménager ? la questionna-t-il en grattant le dessus de sa lèvre.
— J'ai juste deviné.
Il ne l'avait pas insulté, ni même regardé méchamment. C'était forcément un gentil garçon. Les méchants garçons seraient déjà venus lui tirer les cheveux ou lui dire que la solitude est pour les losers. Quel pourrait être son prénom ? Dustin ? Jordan ?
Il lui rendit son sourire. Et avant de changer de toilette, il rajouta :
— Enchanté Hailee, moi c'est Aaron.
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Voilà, je vous publie la rencontre d'Aaron et Hailee pour Noël ! J'espère de tout coeur que ça vous a plu et je vous souhaite donc un joyeux Noël à tou(te)s !
Bisous, Eléa ♥
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Métallique ● Avengers
FanficTome 1 & 2 (en réécriture) La vie n'a pas toujours été tendre avec Hailee. Orpheline à l'âge de cinq ans, elle est séparée de son frère aîné dès la mort de leurs parents. Elle aurait pu se contenter de ça si elle n'avait pas cette capacité à contrôl...