huit

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   Lauren avait observé toutes les règles de l'invisibilité. Elle n'était pas maquillée. Elle n'avait même pas mis de mascara. Elle avait ôté ses boucles d'oreilles et son collier et relevé ses cheveux, soigneusement retenus par un élastique. Sa jupe grise avait la longueur réglementaire et son chemisier blanc était boutonné jusqu'au cou. Elle ne portait aucun parfum.

L'appel venu du rez-de-chaussée la fit bondir. « Dépêche-toi, Lauren, on part dans cinq minutes ! »

Peut-être que ça allait bien se passer, après tout. Elle jeta un dernier coup d'œil à son reflet, dans le miroir de la salle de bains, puis ouvrit sa porte et descendit les marches de l'escalier.

Sa mère applaudit devant son visage.

« Oh, chérie, tu es parfaite. »

Papa et Chris levèrent les yeux de la table du petit déjeuner et embrassèrent son apparition du regard, des talons plats jusqu'aux épais collants noirs.

« Très élégant », dit son père.

Chris brandit sa fourchette en signe d'approbation.

« Tu as l'air bien studieux, mon enfant. »

Lauren enfila son gilet et le boutonna de bas en haut en prenant son temps.

« Vous vous rendez compte que tout le monde va me regarder ? »

Sa mère lui lança un regard triste mais n'ajouta rien.

Chris déclara :

« Moi, j'aimerais bien faire quelque chose de normal, aujourd'hui.

- Eh bien, pourquoi tu n'y vas pas à ma place ? »

Il lui adressa une grimace.

« Très fin, merci. »

Lauren soupira, se versa du jus de fruits et en but une gorgée. Debout à l'autre bout de la table de la salle à manger, Mme Jauregui brandissait une pince. Devant elle trônait un plat chargé d'œufs sur le plat, de saucisses, de bacon et de champignons, et juste à côté un panier regorgeant de croissants et autres pâtisseries.

« Vous en voulez encore ? » lança-t-elle en faisant claquer la pince vers les hommes, comme les mâchoires d'un crocodile.

Lauren fronça les sourcils.

« Pourquoi est-ce que tu as préparé autant de nourriture ?

- Ta mère nous gave, répondit son père. On a rendez-vous avec l'avocat ce matin. » Un bloc-notes et un stylo reposait devant lui. Il griffonna quelque chose et se tourna ensuite vers Chris. « Nous devons constituer un dossier avec tous tes bons résultats, tout ce que tu as fait dans le cadre de l'école ou au lycée. Les clubs dont tu faisais partie, les prix que tu as reçus, ce genre de choses. Les activités extrascolaires, ça passe toujours bien. »

Lauren attrapa un croissant et le tartina de beurre. Ce n'était pas vraiment un petit déjeuner diététique, mais si elle se considérait comme un soldat envoyé au front, ces calories étaient justifiées.

Son père continuait de prendre des notes.

« Le tournoi de golf pourrait compter, dit-il. Tu es arrivé en demi-finale, n'est-ce pas, Chris ?

- Quart de finale.

- Bon, eh bien, c'est déjà quelque chose. »

On se serait cru en pleine conférence de guerre, avec les cartes, les stratégies. C'était ainsi depuis l'arrestation. Comme si on avait diagnostiqué chez Chris une maladie rare et terrible, qu'il fallait se concentrer, se mobiliser pour trouver le bon remède. Rien d'autre ne comptait plus.

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant