trente

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   Lauren googlisa le mot « viol », mais elle l'épela mal et se retrouva sur le site d'un fournisseur pour bateaux à voile spécialisé dans le chanvre synthétique. Pour la première fois depuis des jours, elle se surprit à sourire. Elle changea « voil » en « oliv », s'attendant à tomber sur des huiles et des savons, mais au lieu de cela elle tomba sur un site présentant un manuel de référencement de base de données, ce qui redonna à cette petite parenthèse un caractère sérieux. Quand elle tapa le mot correctement, elle découvrit que la moitié des filles sont victimes d'une certaine forme d'abus sexuel (allant de l'attouchement déplacé jusqu'au viol en tant que tel) avant leurs dix-huit ans.

Des filles se faisaient agresser aux quatre coins du monde. Elle se prépara un sandwich à la confiture et le mangea en regardant par la fenêtre de la cuisine.

Sofia était allongée sur le dos, presque entièrement recouverte par la couette. Elle était mignonne, comme si elle avait été bordée. Mais quand Lauren avait allumé la lampe...

Non !

Lauren attrapa deux paquets de chips et les engloutit à la hâte, l'un après l'autre, tandis qu'elle inspectait le frigo et les deux placards à provisions. Parfois, Chris cachait ses muffins au chocolat ailleurs que dans la panière, mais elle ne trouva rien. Et si elle sortait s'en acheter ? Le jour venait à peine de se lever, mais la boulangerie de la rue principale ouvrait à si heure trente. Elle alla dans le couloir, colla son oreille contre la porte d'entrée et écouta. Rien. Même le vent, qui faisait habituellement battre la boîte aux lettres en s'engouffrant au coin de la maison, s'était calmé. Elle entrebâilla la porte et inspecta l'allée dans les deux directions. Personne.

Là. Qu'est-ce que c'était que ça ? Un oiseau avec une tache blanche sur son portail, comme du lait sur une toile cirée. Il se balançait sur la branche supérieure d'un arbre du jardin et la regardait droit dans les yeux. Est-ce que c'était une pie ? Un geai ? Il pencha la tête et poussa un gloussement. Il avait de petits yeux noirs.

Elle agita un doigt dans sa direction. « Salut ! »

Il inclina la tête en la regardant et déploya ses ailes. Elle fut éblouie par un éclat pourpre, d'une couleur incroyable pour un oiseau, la couleur d'un pyjama de roi. Elle le suivit du regard tandis qu'il s'élevait dans le ciel, au-dessus de la maison, et disparaissait au loin. Elle put encore distinguer son cri pendant une éternité. Elle avait besoin de se raccrocher à ce genre de choses, des choses étrangement rassurantes.

Elle dévala les marches de la maison et traversa l'allée en courant. C'était génial, ses deux jambes fonctionnaient, elle n'était pas prise dans un cyclone ou frappée par la foudre, il n'y avait pas d'attroupement au portail, personne pour lui jeter des pierres. Elle prenait les choses trop à cœur, c'était évident. Dans d'autres pays, il y avait des guerres. En ce moment même, à un endroit du monde, quelqu'un s'immolait au beau milieu de la rue. Mais elle, elle se tenait là, envahie de doutes stupides au sujet de son frère, trop morte de trouille pour aller le défendre au tribunal.

Quand elle quitta l'allée qui débouchait sur l'avenue des Acacias, elle réalisa à quel point le ciel était vaste au-dessus de sa tête, pas la sobre petite bande de ciel que l'on apercevait depuis l'allée, mais une vraie rue, pleine de ciel.

Le monde était magnifique.

Tout en marchant, elle enregistrait tout, les pâquerettes disséminées sur l'herbe du bas-côté, encore plongées dans la pénombre, et qui attendait la caresse du soleil pour s'ouvrir, comme des enfants endormis. Les fleurs qui pesaient lourdement aux branches des cerisiers. L'avion, argenté et minuscule, qui scintillait là-haut, au milieu de rares filets de nuages. C'est marrant, se dit-elle, de penser à tous ces gens attachés sur leurs sièges, si loin au-dessus de sa tête.

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant