toi contre moi

SEIZE

   « Ce sont les choses les plus simples qui font toute la différence », dit Simon en déposant du beurre, du lait et de la farine sur le plan de travail, devant Camila. « Est-ce que tu réalises que ces trois ingrédients font une sauce blanche basique mais que, à partir de celle-ci, tu peux faire pleins d'autres choses ? La sauce Mornay par exemple, ou la sauce Soubise. »

Voilà ce que Camila aimait dans le fait de cuisiner, on commençait par quelque chose de simple, on y ajoutait une autre chose simple et le résultat était quelque chose de nouveau et de compliqué. Simon appelait ça l'alchimie, mais cela ressemblait presque à de la magie, quand on était français.

Simon lui avait demandé de faire une sauce béchamel pour les lasagnes. C'était le repas favori de Camila, toutes ces pâtes et ce fromage. Elle savait que Simon notait ses sauces. Ils avaient même échangé leurs tâches, Simon était en train de récurer les casseroles dans l'évier.

« Un jour, j'ai fait des lasagnes pour ma mère, raconta-t-elle à Simon. T'aurais dû voir sa tête.

- Elle était fière ?

- Elle était estomaquée. Elle ne savait pas que j'étais capable de faire des trucs comme ça.

- T'as un don, Camila. C'est ce que je te dis depuis le début. »

Camila déposa du beurre dans une casserole et le regarda fondre en le poussant pendant un moment avec une cuiller en bois, puis elle ajouta la même quantité de farine passée au tamis et remua. Une boule graisseuse, glissante et chaude se forma dans la casserole. Elle ajouta du lait chaud, mouillant lentement roux.

C'était bien de n'avoir pas d'autre souci à se faire que surveiller ce qui se passait sur les fourneaux. Camila savait qu'un bon roux devait être ferme et ne pas adhérer aux bords de la casserole, et qu'un oignon piqué de clous de girofle ajouterait de la saveur au lait. Des choses simples qu'il avait découvertes.

« Je crois qu'un jour tu seras saucière, lança Simon. Tu sais que c'est le plus haut poste parmi les cuisiniers ?

- Non, je n'ai pas envie de faire tout le temps des sauces. J'ai envie d'être une sous-chef, en charge de tout le repas, du début jusqu'à la fin.

- Bon, eh bien, il faut que tu travailles dur, alors. Il faut que tu t'entraînes et que tu écoutes bien. Avec le temps, les aliments te diront eux-mêmes quelle est ta spécialité. »

Camila rit. L'idée que la nourriture lui dirait quelque chose était à la fois extra et ridicule. Simon gloussa également. C'était super d'être là, tous les deux, et de rire ensemble.

Shawn entra, chargé d'une pile de caisses à salades. Il leur jeta un regard perplexe.

« Qu'est-ce qui se passe, ici ?

- Camila est en train de perfectionner l'art du roux, répondit Simon, et il agita la brosse à récurer devant le nez de Shawn, comme une baguette magique. Elle fouette, elle fouette sans remarquer la douleur dans son poignet.

- OK, mais c'est bourré à craquer là-bas, vous savez.

- Oui, on a remarqué, répondit Simon en riant, c'est bien pour ça qu'on se cache ici. »

Shawn déposa bruyamment les cartons.

« Et donc, je suis censé couper toutes ces laitues tout seul ? »

Shawn avait été énervé toute la matinée et Camila savait que c'était sa faute. La semaine dernière, elle avait été en retard tous les jours, et chaque fois Shawn l'avait couverte. Aujourd'hui, il lui avait même prêté la voiture. Camila l'avait remercié, elle lui avait promis un billard et une pinte après le service, mais ce n'était sans doute pas suffisant.