La tribune réservée au public n'était pas surélevée comme dans les cours criminelle qu'elle avait vus à la télévision. Elle ne comptait que quelques rangs de chaises séparés des autres par une allée centrale. Il n'y eut aucune exclamation chuchotée quand Lauren entra, pas de juge entouré d'avocats qui sifflait entre ses dents pour réclamer un peu de calme et la réprimandait pour son retard, juste des groupes de gens assis sur des chaises, attendant que cela commence. Stacey et ses amies étaient installées dans un coin, au fond de la salle, et si elles suivirent Lauren du regard quand elle parcourut l'allée et s'installa à côté de sa mère, personne d'autre ne sembla la remarquer.
« J'étais sur le point de te considérer comme définitivement perdue », dit sa mère, et elle tapota la main de Lauren comme si tout allait s'arranger maintenant.
Lauren avait l'impression d'être assise dans un bureau de l'état civil dépourvu d'air, à attendre la célébration d'un mariage mal barré. Il y avait même un huissier, un type qui rôdait, les mains chargées de paperasse. Chris se trouvait au premier rang, tel le fiancé attendant sa promise. Mais la mariée n'arrivait pas. Sofia Cabello était enfermée chez elle, en larmes, sa robe de mariée réduite en lambeaux, refusant d'entrer dans la limousine. « Je ne vais pas l'épouser, je ne veux pas ! Il est cruel, je le déteste. »
Chris avait peur, Lauren le voyait à la manière dont il fixait le sol devant ses pieds et dont il voûtait les épaules. Il portait son nouveau costume deux-pièces choisi par leur père pour son tissage fin et sa coupe de qualité. Mais la sueur devait s'accumuler sous ses bras et le long de sa colonne vertébrale.
Sa mère se pencha vers elle et lui donna un coup de coude.
« La mère vient d'entrer. J'ai entendu Barry le dire. »
Lauren tourna légèrement la tête, faisant mine de n'être pas très intéressée par cette information. La mère de Camila semblait essayer de se concentrer tandis qu'elle remontait l'allée, la tête très droite, la nuque tout aussi raide. Camila se tenait derrière elle et, un peu plus loin encore, son ami Shawn. Lauren ne pouvait détacher son regard d'eux tandis qu'elles cherchaient leurs sièges.
« Elle est très jeune, chuchota sa mère. Tu paries que sa fille et son frère sont de pères différents ?
- Ils ne sont pas frère et sœur.
- Peut-être que si. Qu'est-ce que tu en sais ? »
Lauren ne se donna pas même la peine de répondre. Son cœur s'emplit de tendresse pour Camila quand elle aida sa mère à prendre place et l'encouragea à enlever sa veste. Sa mère semblait très nerveuse, ses yeux dardaient dans tous les sens.
Le regard de Camila balaya la pièce tandis qu'elle enlevait à son tour son manteau. Elle aperçut Chris, leur père et l'avocat, leurs têtes penchées les unes vers les autres, plongés dans une discussion de dernière minute. Puis elle vit Lauren, et ce fut comme si un câble électrique invisible les reliait à travers la pièce. Lauren se retourna rapidement et concentra toute son attention sur la fenêtre haute au-dessus du banc du juge. Une rangée de nuages gris filait à travers le ciel. Elle croisa ses jambes sous sa chaise, les décroisa, les recroisa.
Sa mère lui donna un nouveau coup de coude.
« Ça y est. Voilà le juge. »
L'huissier éleva la voix.
« La cour se lève. »
Tout le monde se leva quand le juge entra par une porte latérale. Il était coiffé d'une perruque de meilleure qualité que celle de l'avocat et portait une robe noire et rouge. Il s'assit derrière un long pupitre placé en dessous d'un symbole héraldique. On demanda ensuite à l'assemblée de se rasseoir. L'huissier prit place derrière un petit bureau et les avocats s'installèrent en face du juge avec leurs ordinateurs portables et leurs dossiers.
Lauren avait du mal à se concentrer, à focaliser son attention. Camila se tenait trois rangs derrière elle, de l'autre côté de l'allée. Le côté de la mariée.
L'un après l'autre, les avocats se levèrent et s'adressèrent au juge. Ils parlèrent des déclarations sur lesquelles reposait la procédure d'inculpation et des documents qui pouvaient servir la défense. Ils s'interpellaient en jargon juridique, le public se penchait en avant pour essayer d'en comprendre le sens.
Est-ce que Camila la regardait ? Qu'est-ce qu'elle pouvait voir d'elle depuis l'endroit où elle se tenait ? Sa nuque, peut-être ? Ses épaules ?
Les avocats poursuivirent ainsi pendant un moment, mais à l'instant même où les gens commencèrent à piétiner et que Lauren se mit à espérer que Barry avait raison, que les gens allaient s'ennuyer et finir par rentrer chez eux, Chris fut appelé à se lever et à prendre place sur le banc des accusés. Le public se redressa sur les chaises.
Le banc des accusés se trouvait du côté des avocats, un emplacement partiellement cloisonné auquel on accédait en empruntant quelques marches. Une fois que Chris y eut pris place, vêtu de son meilleur costume, tout le monde put voir son visage. Il était encore plus pâle que dans la voiture et semblait très effrayé.
Le juge dit : « Est-ce que votre nom est Chris Alexander Jauregui ?
- Oui, c'est bien cela. »
Sa voix était si jeune, si douloureusement familière.
Le juge lut à voix haute : sa date de naissance, son adresse. Il n'omit pas même le code postal. La pièce sembla vaciller quand il énonça la charge. Les mots « agression sexuelle » résonnèrent dans la tête de Lauren. On demanda à Chris s'il comprenait ce dont on l'accusait.
« Oui, dit-il. Je le comprends. »
Comme un aveu.
« Et qu'allez-vous plaider ? Coupable ou non coupable ? »
Lauren sentit son cœur battre et son cerveau tiquer tandis que les mouvements de la salle semblèrent ralentir. Il pouvait refuser de plaider. Il pourrait plaider la folie. Il pouvait dire qu'il l'avait fait, aussi.
« Non coupable. »
Un murmure de protestation s'éleva à travers la pièce, en même temps qu'un crépitement d'applaudissements. Il devait y avoir des amis de Chris, parce qu'un garçon cria : « dis-leur, mec ! » Le juge fit tomber son petit marteau et demanda le silence.
Lauren profita du remue-ménage pour jeter un coup d'œil en direction de Camila.
Camila fixait le sol comme si elle avait abandonné le combat. Son corps tout entier devint glacial tandis que Lauren la regardait. Camila aimait sa sœur, c'était pour cette raison qu'elle avait essayé de l'aider. Elle aimait également sa mère, cela se voyait à la manière dont elle avait posé son bras autour de ses épaules, à la manière dont sa mère s'appuyait contre elle. Elle aurait fait n'importe quoi pour elles, sans doute. N'était-ce pas ce que Chris lui répétait sans cesse ? Mais, maintenant, Camila devrait rentrer chez elle et dire à Sofia que dans quelques courtes semaines elle devrait quitter l'appartement et se présenter au tribunal. Elle devrait raconter ce qui s'était passé. Sa vie serait détaillée, passée au crible par des étrangers, n'importe qui pourrait venir regarder ce spectacle.
Non coupable.
Les mots se répétaient dans la tête de Lauren. Chaque fois qu'elle fermait les paupières, elle les voyait flamboyer devant ses yeux.
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toi contre moi
Teen FictionCamila cabello et Lauren Jauregui sont amoureuses. L'une a 16 ans, l'autre 18. C'est leur premier grand amour. Pourtant, rien ne les destinait à se rencontrer. Lauren, issue d'un milieu aisé, bonne élève, se préoccupe avant tout de réussir ses exame...