TREIZE

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   Lauren l'entendit avant de la voir. Le claquement du portillon, le bruissement de chaussures sur la pelouse. Elle ouvrit les yeux, un instant étourdie par l'éclat éblouissant du soleil. Camila portait un jean et un tee-shirt blanc, un blouson en cuir qui avait connu de meilleurs jours. Elle s'avança vers Lauren en souriant, un peu voûtée, les mains dans les poches, peut-être intimidée.

Lauren dit : « Tu es là.

- Apparemment, oui.

- Je me demandais si tu viendrais.

- Moi aussi. »

Lauren essaya de prendre un ton détaché, comme si le fait de retrouver des personnes dans un cimetière faisait partie de ses habitudes, mais son cœur battait vite et sa voix avait des intonations aiguës de petite fille. Elle s'efforça de respirer lentement et d'éviter de rougir alors qu'elle se tenait devant elle et la regardait.

Camila avait l'air de réfléchir à quelque chose. Puis elle dit : « Je suis contente de te voir, Lauren. »

Elle se souvenait de son prénom. Cela voulait dire qu'elle lui plaisait.

« Tu veux t'asseoir ? »

Lauren tapota la place libre à côté d'elle, sur le banc.

Camila s'assit sur ses mains, penchée en avant, et regarda les tombes blanchies et les pierres bancales. Elle ne disait rien et ça lui plaisait, le fait que Camila soit songeuse, qu'elle admire les lieux. Elles étaient les seules vivantes en cet endroit. C'était excitant. Le vent soufflait doucement sur l'herbe, le soleil dessinait des motifs sur les pierres tombales.

« Je ne pensais plus que tu allais m'écrire », dit Camila.

Lauren agitait ses chaussures dans l'herbe, l'aplatissait.

« J'avais décidé que si tu ne m'écrivais pas d'ici demain, je ferais un tour vers chez toi. »

Lauren lui jeta un coup d'œil.

« T'es sérieuse ?

- Ouais. Je voulais te voir. »

Camila se sentait pleinement présente, assise là à la regarder. Cela donnait aussi à Lauren une présence indéniable, comme si elle avait été floue auparavant, ou seulement à moitié vue.

Tout d'un coup son téléphone se mit à sonner, les faisant toutes deux tressaillir. Camila l'extirpa de sa poche et regarda qui c'était. « Désolé, dit-elle, je ferais mieux de répondre. »

Elle s'éloigna quelque peu, mais elle pouvait toujours l'entendre. Lauren se demanda si elle s'en rendait compte. Camila écouta pendant une minute puis elle dit : « Calme-toi. Ça va aller, tout va bien se passer. »

Les filles avaient souvent cette voix-là quand elles parlaient à leurs petits frères ou sœurs, comme si elles étaient responsables, comme si elles savaient mieux qu'eux ce qu'il fallait faire. Peut-être avait-elle des responsabilités.

Elle dit : « C'est sans doute un fanatique religieux ou quelqu'un qui vend des chiffons. N'ouvre pas, ils repartiront. » Elle jeta un coup d'œil à Lauren qui regardait ses chaussures en faisant mine de ne pas entendre. Combien de temps allait-elle leur donner ? Lauren avait toute la journée devant elle. Et toute la nuit, d'ailleurs.

Elle ajouta : « Eh bien, je suppose qu'elle sortira quand elle aura faim... Et puis comme ça tu peux choisir ce que tu veux regarder à la télé. Ecoute, je te rappelle tout à l'heure. Je ne peux pas m'occuper de ça maintenant. » Elle raccrocha et leva les yeux au ciel.

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant